L’année 2023 est un peu particulière. J’ai passé une partie non négligeable de mon temps en arrêt maladie, ce qui explique le nombre plus élevé de livres lus que d’habitude. Les livres me permettent de me blinder contre une réalité pas forcément reluisante. Oui, les livres peuvent donner de réfléchir sur notre monde cassé. Mais on n’oublie un peu trop – quand on milite – la fonction d’évasion et de beauté de la littérature. J’aime accompagner une auteurice dans son imaginaire et y créer mon petit monde à moi. J’aime aussi être éblouie devant une phrase qui me touche comme une flèche dans sa cible. Durant ces mois compliqués, la littérature, comme souvent, m’a permis de tenir et de rêver. Et, en soi, c’est déjà beaucoup.

Comme les années précédentes, j’ai noté l’ensemble des livres lus dans un petit carnet noir avec la volonté d’identifier des tendances. Les limites de l’exercice sont déjà décrites dans le bilan de 2020.

En supplément, j’ai choisi, comme précédemment, de regrouper les tomes d’une série BD. Par exemple, les 6 tomes de Ramna 1/2 que j’ai lus sont considérés comme un seul livre. Autre point, les mangas lu en ligne n’ont pas été pris en compte, plus part oubli de ma part (eh ! oui, je sais, les scans, c’est mal). De plus, j’ai considéré que la majorité des personnages de manga étaient « blancs ». Ou encore, j’ai pu me tromper sur la non-cishétéro de personnages en ne repérant pas certains codes. Bref, cette analyse est partielle et située.

Cette année, j’ai lu 165 livres, dont 40 romans, 7 recueils de nouvelles, 77 Bds, 4 autobiographies, 32 essais et 5 recueils de poésie.

Les proportions sont à peu près les mêmes qu’en 2022, sauf les recueils de poésie qui font leur apparition cette année. C’est quand même mieux de lire de la poésie quand on essaie d’en écrire soi-même.

Concernant le genre des auteurices, j’ai lu moins de femmes que 2022 :

Même si a proportion reste peu ou prou la même pour les romans et les BDs, la part d’hommes augmente significativement pour les essais. Je n’arrive pas trop à l’expliquer, il faudrait que les statistiques soient plus fines pour mieux comprendre.

De plus, je constate que certains thèmes restent très peu explorés. J’ai envie cette année de me pencher plus sur la théorie anarchiste et antiraciste.

En terme de romans, la grande majorité relève de l’Imaginaire (83%), contre 17 % de littérature blanche. L’augmentation sensible de lecture SFFF est liée, à mon avis, à ma participation au challenge de l’Imaginaire.

Un aspect important d’une œuvre de fiction est le personnage. La représentation permet (entre autres) de s’ouvrir à d’autres expériences, de se sentir moins seul·e ou de comprendre certains aspects de son identité. Et là j’ai été assez étonnée car je pensais avoir rencontré plus de diversité. Par rapport à 2022, le nombre de femmes baisse pour atteindre un 52 % et les proportions de blanc·hes (79%) et d’hétéros (85%) augmentent significativement.

Et c’est là que l’on tient du doigt une limite dans le fait d’essayer de ne lire que des femmes ou personnes non cis : une autrice peut très bien écrire un livre non féministe ou misogyne ou juste androcentrée. Comme la grande majorité de la littérature. C’est de fait assez frustrant car, là encore, les histoires tournent autour de la vie (fictive) de personnes dominantes.

Coups de cœur

Comme à chaque fois, la sélection est difficile. Autant il est facile de dire quelles œuvres nous ont laissées de glace, même ceux qui sont très cités sans que je ne saisisse pourquoi, autant se restreindre à trois œuvres touchantes est compliqué.

Romans

Apprendre si par bonheur de Becky Chambers

J’en ai déjà fait la chronique dans le cadre du challenge de l’Imaginaire :

La trilogie de Daevabad

J’en ai déjà fait la chronique dans le cadre du challenge de l’Imaginaire :

Terremer d’Ursula Le Guin

J’ai relu le cycle de Terremer à un moment charnière. Je sortais d’une très grosse dépression et avait décidé malgré tout, un peu pour me prouver à moi-même, d’aller randonner dans les Cévennes. J’avais déjà lu plusieurs fois le cycle de Terremer, j’avais aimé mais je préférai largement les « Quatre chemins de pardon » ou « les Dépossédés » (malgré la tentative de viol) ou encore plus récemment Lavinia. J’avais choisi d’emporter le gros livre de poche « Terremer » avec moi, un peu par hasard, pour braver les longues heures à attendre, malgré le poids supplémentaire à porter, car le moindre objet est lourd quand il est porté plusieurs jours à la suite. Ces trois romans ont résonné en moi en multiples échos. C’était le livre à lire à cet endroit et à ce moment. Je ne crois pas que cela s’explique de façon rationnelle.

Terremer est en fait un regroupement de trois romans d’Ursula Le Guin :

  • Le sorcier de Terremer : on suit Ged, un très puissant sorcier, qui fuit l’Ombre qu’il a délivrée lors d’un défi orgueilleux.
  • Les tombeaux d’Atuan : Tenar est une jeune prêtresse, réincarnation de la Dévorée. Elle veille sur des tombeaux et des trésors oubliés dans la poussière du temps. Elle découvre un jour qu’un sorcier, Epervier, s’est infiltré dans le temple pour voler un des trésors.
  • L’ultime rivage : une étrange maladie s’étend sur Terremer. Les personnes oublient les mots de la langue ancienne, qui servent à utiliser la magie. Arren, un descendant d’un roi mythique, vient chercher de l’aide sur l’île des magiciens et repart avec Ged pour trouver la source de ce mal.

A noter, comme beaucoup des romans pré-80’s de Le Guin, nous suivrons la voix que d’une seule femme et nous en croiserons à peine plus.

Bandes dessinées

Celle qui parle d’Alicia Jaraba

Celle qui parle est une bédé sur un personnage historique controversé : la Malinche. Cette femme, esclave et amante de Cortès, était la traductrice des Espagnols lors de la conquête du Mexique. Elle aurait joué un rôle important de conseils aux Espagnols. Alicia Jaraba en fait une femme complexe, évoluant petit à petit et essayant par tout moyen de se sortir de sa condition. Pour enfin réussir à dire « non ».

Je suis tombée dans un jeu de harem inversé

J’ai commencé ce manwa par hasard dans une grande surface, puis j’ai continué sur Internet (bouh c’est mal) et j’ai fini par acheter les deux tomes sortis à cette date.

On y suit une femme qui se réveille un jour dans un lit avec deux hommes magnifiques et nus. Elle apprend alors qu’elle a été transférée dans le corps de la méchante d’un jeu de harem inversé (oui oui, un jeu vidéo hétéro avec plein de beaux mecs) et qu’elle sera tuée par l’héroïne du jeu. Son but sera alors de manœuvrer pour éviter cette fin tragique, d’autant plus qu’elle ne sait pas si la mort dans le jeu aura pour conséquence la mort dans son monde d’appartenance.

L’histoire est entraînante, les dessins sont très beaux, les personnages masculins canons et la personnage attachante dans sa volonté de maîtriser sa nouvelle condition. Il manquerait que des femmes comme intérêts amoureux pour que ce soit parfait mais, bon, mettre des personnages bisexuelles semble trop demander dans des œuvres grands publiques.

Criminelles fiançailles

On reste encore dans le genre de la romance/shojo bien hétéro. C’est une histoire assez habituelle : une jeune fille est fiancée par son grand-père à un garçon taciturne pour asseoir un accord entre les deux familles. Les jeunes gens sont très différents, la fille est gentille et attentionnée, le garçon a un sale caractère mais avec des fêlures.

Sauf que les deux familles sont des clans mafieux, que la meuf pète des câbles quand elle est trop poussée à bout et que le gars est un psychopathe (d’après la fiche Wikipedia) avec une tendance maso. C’est très drôle, avec un personnage féminin super chouette. Par contre, ne vous attendez pas à beaucoup de réalisme, ni dans le monde mafieux décrit ni dans les bastons qui swinguent.

Un coup de cœur que j’ai relu plusieurs fois les six tomes de façon compulsive.

Essais

Une poupée en chocolat

Cet essai m’avais été conseillé par une amie et dès que j’ai vu qu’il avait été écrit par Amandine Gay, qui a réalisé le documentaire « Ouvrir la voix », je n’ai pas hésité.

Le sujet est assez méconnu : l’adoption internationale et les dominations racistes, capitalistes et néo-coloniaux que cela tire. Adopter un enfant d’un pays du Sud quand on est blanc occidental n’est pas juste un choix individuel de parents mais s’inscrit dans des relations asymétriques entre les pays occidents et les pays anciennes colonies. Des conséquences se répercuteront sur l’enfant, qui vivra dans une famille blanche et une société raciste, loin de modèles qui pourraient permettre de mieux se construire, et avec une histoire familiale complexe qui charrie tout ça.

Ce livre secoue et ça fait du bien.

Plutôt Nourrir – L’appel d’une éleveuse de Clément Osé et Noémie Calais

Ce livre m’a fait cogiter pas mal. Au fur et à mesure de la lecture, j’ai senti une tension grandir entre le témoignage de Calais et mes présupposés, ma compréhension du monde agricole et mes différentes positions politiques.

Calais témoigne de sa vie en tant qu’agricultrice, les raisons de son choix, les difficultés qu’elle a rencontré, la solidarité entre agriculteurices, sa lutte contre un modèle qui se mort la queue. De son côté, Osé nous fait part de ses propres questionnements, qui peuvent résonner avec ceux de la lectrice non agricultrice.

Toutes les positions de Calais ne sont pas les miennes, par exemple sur la gestion du COVID ou la solidarité avec les chasseurs. Et plus profondément, je reste persuader de la nécessité d’arrêter l’exploitation animale, a minima pour des raisons de souffrances animales.

Néanmoins, ce livre a le mérite de rappeler qu’un changement de système agricole est urgent pour des raisons écologiques, médicales, de souffrances animales (même si, comme écrit plus haut, le curseur n’est pas tout à fait au même endroit que le mien) et de viabilité sur le long terme.

Parce que l’agriculture nous permet à toustes de nous nourrir et donc de vivre.

Sur le même thème, je conseille les numéros 47 et 48 du podcast « Un podcast à soi » de Charlotte Bienaimé : « Paysannes en lutte ».

Pour l’amour et la liberté

« L’amour et la liberté » est un livre d’interviews de femmes qui ont participé à la lutte antifasciste lors de la guerre d’Espagne. Plusieurs tendances politiques sont couvertes : des femmes du POUM, des staliniennes et des anarchistes. Elles ont tenu des fusils, aidé au ravitaillement ou choisi d’aider d’autres femmes à être indépendantes – ce qui est aussi une lutte antifasciste. C’est une période que je ne connais pas beaucoup, durant laquelle des zones entières vivaient en autogestion, et dont je ne connaissais que par des témoignages/romans d’hommes (dont « Hommage à la Catalogne de Georges Orwell).

Tous ces témoignages montrent la force de ses femmes, la solidarité, l’engagement et la lutte nécessaire contre le fascisme et une meilleure vie. Y surgissent de temps en temps des morceaux d’amour et de vie.

Vraiment très inspirant.

Autres

La jeune fille à l’usine de Nella Nobili

« La jeune fille à l’usine » est un recueil de poésie écrit par Nella Nobili. L’ensemble des textes témoignent de sa condition d’enfant dans une usine. Enfant, car l’autrice à 12-14 ans quand elle commence à travailler.

Les poèmes, courts voire très court – mais j’aime la brièveté des poèmes, sinon je n’écrirai pas des haïkus – sont aussi des reflets de ses rêves comme ceux de la liberté et de la beauté qu’elle essaye de toucher du doigt. En rendant compte, par le médium de la poésie, de sa condition ouvrière, les textes touchent à l’universel. Une bonne découverte.

Conclusion

Je veux finir par une ode aux médiathèques, qui permettent aux plus nombreuses l’accès à la littérature, grâce notamment à des abonnements pouvant être gratuits dans certaines conditions, comme les personnes au RSA (du moins à Lyon).

Et donc : vivent les médiathèques !!