Les rêves de l’Arcadie — Chapitre 12

Le temps était une notion étonnante. Les minutes s’engrenaient lentement, pourtant Azza eut l’impression que les heures prises ensemble s’étaient écoulées à la vitesse de la lumière. Qu’avait-elle bien pu faire ? Elle se rapprocha encore plus du pare-brise de la cabine du pilote pendant qu’Issam vérifiait les trajectoires d’approches proposées par l’ordinateur de bord.

Chroniques de l’imaginaire – La trilogie de Daevabad de Shannon Chakraborty

La trilogie de Daevabad est une trilogie (!) de fantasy se passant dans un univers moyen-oriental. L’histoire commence dans le Caire du XVIIIe siècle. Nahri est une jeune femme survivant par des petits larcins. Elle possède un don pour guérir et rêve de devenir médecin. Cependant, un soir, elle organise une arnaque basée sur une sorte d’exorciste, mais qui se passe mal : elle appelle Dara, un guerrier djinn de 1 400 ans, qui lui-même attire des démons autant millénaires que lui, des éfrits. C’est le début d’une fuite vers la ville djinn de Daevabad, en compagnie de Dara.

Photo de la couverture du livre. Une fenêtre aux décorations de feuilles en or donne sur une ville aux multiples tours et minarets sur un fond vert foncé

L’histoire est racontée de deux puis trois points de vue : celui de Nahri, celui d’Ali, un jeune prince guerrier djinn, et, à partir du deuxième tome s’ajoute celui de Dara. Chaque personne a sa façon propre de voir le monde, liée à leur éducation, leur personnalité et aux événements de leur vie. J’ai aimé ces trois personnages, même si voir Dara s’enfoncer dans des choix de plus en plus foireux m’a fait mal au cœur. Mais ceux-ci s’expliquent malheureusement par son histoire.

Je trouve que les personnages, les relations entre eux, sont un des points forts de ce livre. Les alliances vont changer en fonction du temps, et chacune et chacun essayera de faire au mieux en fonction de leurs valeurs et des rares alternatives qu’iels peuvent avoir.

Un autre point fort est l’univers. Le peuple djinn est composé en 7 tribus, rivales et alliées, avec chacune leur culture propre liée en partie à leur lieu de vie. A cela s’ajoute les Shafits, des êtres mi-humains mi-djinns. L’autrice prend plaisir à nous décrire Daevabad, la ville djinn où vit le roi, et toutes les merveilles du monde djinn, les différences culturelles, la nourriture, l’architecture, les religions, ce qui donne une texture au monde décrit.

La vengeance, la haine et le racisme ethnique sont des thématiques importantes du livre. Celles-ci se basent sur des analyses de l’histoire djinn, comme s’il n’était pas possible de dépasser les guerres du passé. Les Shafits sont traité·e·s comme des êtres inférieurs, coincé·e·s dans la ville. Les Daevas, une des tribus djinns qui a perdu le pouvoir 1 400 auparavant, continuent de vivre dans ce passé glorieux et sous le joug du roi tyran. Mais les Daevas haïssent encore plus les Shafits, qui sont pour elleux des erreurs face au créateur. Rien n’est tout blanc ou tout noir dans ces romans. Même les actes de la grande méchante qui se révèle dans le tome 2, et surtout dans le tome 3, s’expliquent par le monde dans lequel elle a grandi. Bien sûr, comprendre ne justifie en rien, que ce soit dans un roman ou dans la vraie vie… La justice est un autre thème fort de la série : comment être juste dans un monde foncièrement injuste ? Ce sera un des moteurs d’Ali.

Il y a même des touches de romance, un poil cliché au début mais qui heureusement le devient de moins en moins, mais que j’ai apprécié et qui ont en plus une utilité dans les livres.

J’ai noté plusieurs points faibles de mon point de vue. D’abord, parmi les 7 tribus djinns, seules trois seront vraiment décrites. On en sera au final très peu sur les cultures des autres tribus.

La présence de minorité de genre est faible dans le premier tome. Heureusement, plus de personnages secondaires femmes apparaissent ou prennent de l’importance dans les deux derniers tomes. Par contre, aucune personne non binaire et a priori trans ne sont visibles. L’hétérosexualité est très présente, même si un couple homosexuel de personnages secondaires auront plus de poids dans l’histoire à partir du deuxième tome.

J’ai eu quelques problèmes avec le fonctionnement de la magie. Au moins deux éléments m’ont questionné, sans que je puisse avoir de réponses claires. D’abord, dans le premier tome, un des personnages devient de plus en plus puissant sans raison particulière (à part pour l’histoire). Le deuxième cas est l’importance que prennent les noms dans cet univers : il est possible de posséder/maîtriser les personnes en connaissant leur nom. Or, ceux-ci n’ont, la plupart du temps, rien de secret ! Comment se fait-il que cette magie n’est pas plus utilisée ?

J’avoue, cela ne m’a pas gêné outre mesure tellement j’étais prise dans l’histoire, la découverte du monde magique et du fonctionnement de la société de Daevabad, les intrigues politiques et l’action.

En bref, malgré des défauts, j’ai un réel coup de coup pour cette trilogie, que j’ai dévoré très vite et qui m’a suivi même après la lecture de la dernière ligne de la dernière page du dernier tome. Une réelle bonne surprise pour moi et, si vous n’avez pas peur des pavés de 800 pages, que je conseille grandement.

Note : cette chronique a été écrite dans le cadre de la 11e édition du « Challenge de l’Imaginaire » lancée par la blogueuse de « Ma Lecturothèque ». Merci à elle pour cette idée !

Challenge de l'imaginaire est écrit en rose pastel. Dans le "C" de Challenge se trouve un dessin de la tête d'une astronaute noire. En fond, en rose plus pâle, est écrit "11"
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Retours de Cévennes

Cette moitié d’année a été compliquée. Je ne suis même pas certaine que « compliquée » soit le bon terme. Une moitié d’années à tâtonner dans la brume à chercher un chemin qui se dérobe sous mes pas. Une moitié d’année dont la quasi totalité s’est déroulée en arrêt de travail. Une estime de soi en-dessous des pâquerettes, un sentiment de honte qui colle aux chaussures, une mélancolie cachée dans chaque recoin.

Parfait pour partir plusieurs jours en sac à dos, n’est-ce pas ?

Pause estivale du blog

Bel été à toustes.

Photo de montagnes. Au premier, des prairies fleuries de jaune, puis une forêt de sapins (ou mélèzes ?).
En arrière plan de grandes montagnes, au sommet rocheux et enneigé.
Le ciel est nuageux, mais le bleu est visible entre les nuages.

Le syndrome de la mauvaise militante

J’ai un aveu à faire : je suis une mauvaise militante.

Chroniques de l’imaginaire – Journal d’un AssaSynth : Défaillance système, de Martha Wells

« Journal d’un AssaSynth – Défaillance système » est un très court roman écrit par Martha Wells. Il est à la croisée du planet opera et du cyberpunk. On y suit une SecUnit, un androïde de sécurité, clone modifié corporellement connecté et armé, qui est envoyé par une entreprise de courtage comme garde du corps. Sa mission dans le roman est de protéger un groupe de personnes venues explorer une planète pour trouver des ressources.

Le point fort de l’histoire est lae narrateurice, cet être agenre pas tout à fait humain qui se surnomme l’AssaSynth. On apprend très vite qu’iel a piraté son module de supervision – de très mauvaise facture, et qu’iel possède donc un libre arbitre, contrairement à ses pairs qui sont sous contrôle strict de la compagnie.

Ce n’est pas um grand·e héro·ine, super combattant·e, sombre et ténébreux·se. Non, iel aime regarder les dramas et souhaite en faire le moins possible au travail. Iel est mal à l’aise avec les humains, et iel est drôle, comme quand iel commente la radinerie de sa boite qui fait des économies sur tout ou les combats entre unités SecUnits comme elle.

Pourtant, iel répond présent·e quand les humains qu’iel doit protéger sont mis en danger. L’action est bien là, où la négligence de l’entreprise de courtage ne peut expliquer tous les bugs mettant en danger les explorateurices. Entre attaque de la faune, combats entre SecUnits, piratages, nous sommes vraiment servi·e·s en termes d’action.

Un petit mot sur les explorateurices. Je les ai trouvées très réalistes dans leurs interactions : la méfiance de Gurathin envers SecUnit, le leadership de Mensah, les tentatives maladroites de contact de Ratthi. On sent une entente certaine entre les membres, et on a envie d’en savoir plus sur leur monde.

Le côté cyberpunk est bien présent : omniprésence des réseaux, humains modifiés, êtres synthétiques cyborgs et armés, grosse entreprises omniprésentes. Mais les côtés sombres et glauques propres à ce genre sont absents, tout comme la critique du techno-capitalisme, qui me semble inhérent à ce genre (mais je ne suis pas du tout une spécialiste). L’univers développé semble une extension du nôtre, mais, contrairement à notre monde, les individu·e·s réussissent à négocier avec ces grosses entreprises de courtage. J’aurai apprécié un peu plus de recul sur ces aspects.

Par ailleurs, l’histoire est tellement courte, que c’en ai légèrement frustrant. Heureusement, ce roman fait partie d’une série, dont j’espère lire la suite.

En bref, une lecture facile, plein d’humour et d’actions, avec un·e narrateurice que j’apprécie et que j’ai hâte de retrouver dans les prochains tomes.

Note 1: cette chronique a été écrite dans le cadre de la 11e édition du « challenge de l’Imaginaire » lancée par la blogueuse de « Ma Lecturothèque ». Merci à elle pour cette idée 

Note 2 : Le podcast Vortex & Rotative a fait une revue de ce roman, que je conseille, plus centré sur le système de genre du roman.

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Les rêves de l’Arcadie — Chapitre 11

Quand Naël entra dans la salle commune plongée dans la pénombre, il sut que son second avait eu encore une fois raison. Il devina la silhouette de l’ancienne rebelle à la masse sombre qui se détachait sur le fond étoilé, visible à travers la baie plastifiée. Il s’arrêta à côté d’elle et la sentit se tendre quand elle devina enfin sa présence.

Strophe sapphique 4

La nuit mon amie tu fuis à travers bois

Comme une biche mystérieuse et sauvage

J’aimerais tant chevaucher ton dos de moire

Saisir les étoiles

Les rêves de l’Arcadie — Chapitre 10

Plus que deux jours avant leur arrivée sur la cyber-planète. Le vaisseau avait traversé depuis quelques heures la dernière porte spatio-temporelle du trajet. L’excitation commençait à être palpable parmi l’équipage et, vu la tambouille qui remplissait leur assiette ces derniers jours, le plein de victuailles commençait à être critique. Naël se força à avaler la bouillie de couleur indéfinie – brun avec une touche de kaki, que des souvenirs – et parsemée de quelques feuilles fraîches. Au moins, si elle n’avait pas eu de goût…

Les personnes concernées ont-elles toujours raison ? Partie 2 Sur l’essentialisation des personnes dominées

Avant-propos

J’ai écrit cette réflexion pour poser par écrits des interrogations suite à un constat d’une tendance, dans certains milieux militants, à donner un blanc seing aux personnes dès qu’elle fait partie d’une classe dominée, quitte à fermer les yeux sur des pratiques violentes. Cette réflexion tient beaucoup des discussions que j’ai eues et entendues avec des militantes féministes. L’écart entre violences légitimes et violences non légitimes me questionnent beaucoup, je pense que je ferai un jour un billet dessus. Plus intimement, ce texte a aussi comme but d’augmenter ma dissonance cognitive en tant que dominante dans certains systèmes de domination. Il y a des écarts entre la théorie – ce que j’aimerai faire – et mes faits et gestes réels, mes petites lâchetés, mes compromis.

Ce billet sera divisé en deux parties :

  1. L’importance d’écouter les personnes dominées
  2. Sur l’essentialisation des personnes dominées (cet article)

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