Certaines personnes considèrent l’écriture comme une part inaliénable de leur être. Elles racontent comment toutes petites déjà, elles gribouillaient des histoires dans des cahiers et comment l’écriture leur permettait d’exprimer leurs idées et leurs sentiments de façon juste. Ce n’est pas mon cas.

Moi, c’est la lecture qui joue ce rôle. Elle a toujours été là pour m’aider à comprendre le monde et les autres humains, mettre des mots sur mes ressentis, et m’évader quand mes jours ressemblaient à un long tunnel noir. J’ai un rapport quasi-boulimique à la lecture. Petite, quand je n’avais plus de livres sous la main, je me rabattais sur les ingrédients des paquets de céréales. Zucchero pour sucre en italien, hierro pour fer en espagnol…

L’année dernière, j’ai décidé de noter dans un vieux agenda chaque livre fini. Et, déformation professionnelle, j’ai centralisé le tout dans un tableur pour en sortir des graphiques. Aïe, je suis contaminée par l’obsession de tout réduire à des indicateurs mesurables.

Les raisons

En fait, plusieurs questions me tiraillaient quand j’ai commencé cette liste.

Quels sont le nombre et le genre de livres lus ?

J’avoue que c’est un peu idiot comme raison. Mais bon, la curiosité, toussa…

Quel est le genre des auteurs et autrices ?

Depuis plusieurs années, j’ai décidé d’avantager les autrices plutôt que les auteurs, dans une démarche similaire à celle d’Alice Coffin ou à celle de Diglee.

Plusieurs raisons à cela :

  • Les autrices ont été, et sont encore, désavantagées par rapport aux hommes en terme de visibilité, mais aussi de conditions initiales de création (de l’argent et une chambre à soi, comme le rappelle si bien Virginia Woolf), les femmes étant en moyenne plus précaires et ayant moins de temps personnel à consacrer à leur art, vu que la majorité des tâches domestiques leur revient. Ainsi, un auteur gagnerait en moyenne 52 % de plus qu’une autrice. Avantager des femmes est un moyen à mon niveau de lutter contre cet état de fait.
  • Les personnages féminins se retrouvent plus souvent et mieux écrits sous la plume de femmes. Et franchement, certains auteurs auraient mieux fait de s’abstenir d’en créer, vu la mauvaise soupe stéréotypée qui sort de leur cerveau (Métro 2034, je pense à toi).
  • Les romans féministes sont plus souvent écrits par des femmes. Et là, je vais botter en touche sur la définition de romans féministes, et renvoyer vers l’article de Pauline sur ce sujet

Comme beaucoup de mes choix intimes et politiques, j’ai eu un déclic suite à une discussion avec une militante féministe qui ne lisait plus que des femmes. Bon, pour tout dire, je lis encore des œuvres d’auteurs, celles qui passent les filtres implacables et rationnels de « j’aime bien ce que ce type dit », « ça n’a l’air trop sexiste » et « des gens que j’estime en disent du bien ». Et la personne avec qui je vis achète/emprunte surtout des livres écrits par des hommes et les laisse traîner à hauteur de mains…

Quelle est la part de diversité des personnages ?

Je pense intimement que les livres ― et la lecture de façon générale ― participent à la construction de notre imaginaire et de notre vision du monde. Des personnages restreints à des stéréotypes ne pourront que limiter notre compréhension de la société et nos rêves.

Avant de continuer

Des erreurs ont pu se glisser lors de ma centralisation. Déjà, j’ai pu mégenrer certaines autrices et auteurs. De plus, je me suis rendue compte aussi que j’ai eu tendance à blanchir certains personnages dont la couleur de peau n’est pas indiquée, ou que je m’étais tout simplement trompée. Par exemple, j’avais noté que le personnage principal de Dune (Paul Atreides) était blanc, alors qu’il est décrit avec la peau foncée.

Je n’ai pas noté si les auteurices étaient trans ou non-binaires. Mais en fait, j’en sais rien si une personne est trans ou non-binaire et cela me gène d’apposer une étiquette sur des gens qui ne le souhaiteraient peut-être pas. Bon, c’est un peu contradictoire sur l’aveu de mégenrage ci-dessus…

Et enfin, concernant les bandes dessinées, j’ai regroupé les tomes d’une même série. Par exemple, les 24 tomes du manga Pandora Heart ne sont comptés qu’une fois.

Des chiffres

Le nombre de livres total est de 136 livres dont 49 romans, 42 bandes dessinées, 33 essais, 3 recueils de nouvelles et 9 autobiographies.

Aucune surprise sur les types de livres lus. Les deux tiers des romans sont des romans de genre (Science-Fiction, Fantastique, Fantasy). Plus de 4 essais sur 10 sont des essais féministes, puis viennent les essais sur l’écologie et la permaculture. Les bandes dessinées sont un peu plus diversifiées : un tiers de genre SFF (y compris les comics de super-héroines), un tiers de type « essais » dont la moitié féministe et quelques-unes d’humour. Parmi les autobiographies, j’ai surtout relu Goliarda Sapienza pendant le premier confinement.

Deux petits tiers des livres que j’ai lus ont été par une ou plusieurs femmes. J’avoue que cela m’a étonnée, car je pensais que la proportion serait plus élevée. En regardant en détail, la proportion est un peu plus élevée parmi les romans, et un peu moins pour les bandes dessinées. En fait, la différence est due qu’il y a des groupes mixtes auteurs de bandes dessinées (7%) mais aucun pour les romans. La proportion d’hommes seuls (35%) reste identique entre les différents types de livres.

Cela me conforte dans mon choix. Si je n’avais pas cette volonté active, la proportion serait probablement l’inverse.

Et parmi les personnages ?

Une courte moitié sont composée de femmes et un gros tiers d’hommes, le reste étant un groupe de personnages mixtes.

Près de 80 % sont hérérosexuel·le·s (c’est-à-dire aimant les humains du genre opposé au leur) et cis (s’identifiant au sexe assigné à leur naissance).

Les 3/4 sont blanc·he·s, avec la marge d’erreur décrite plus haute.

Quoi que peut dire les tenants du science-fiction testorénée, je pense que nous en sommes encore loin d’une invasion de femmes et/ou personnes de couleur dans la littérature (du moins celle présente sur les stands des librairies). Heureusement, les lignes bougent.

Mes coups de cœur parmi les coups de cœur

Il est toujours un peu difficile de classer des livres. Comment quantifier la beauté d’une langue, les réflexions profondes mine de rien, l’aventure avec un grand A ? Comment comparer un manga historique avec un roman de space opéra ou un comic fantastique ?

Alors, de façon complètement arbitraire, je donne trois coups de cœur pour chaque catégorie, sans ordre de préférence.

Romans/Nouvelles

Les seigneurs de Bohen d’Estelle Faye

C’est une histoire de la chute d’un Empire et des gens qui provoquèrent sa chute. Des gens normaux comme vous et moi, ou presque (je n’ai jamais essayé de créer des sectes… même si les millions d’euros que se font certaines au prix de tant souffrances et de totalitarisme peuvent pousser à la vocation). Une révolution multiple à hauteur d’humains, avec toute sa complexité et ses zones grises. Et il y a même des histoires d’amour <3 Coups de cœur spéciaux pour Sigalit et Saint-Etoile.

Terremer, en particulier « Le sorcier de Terremer » d’Ursula Le Guin.

Terremer, c’est un cycle de romans fantasy, se passant dans le monde du même nom composé d’îles innombrables. La magie se base sur la connaissance das vrais noms. « Le sorcier de Terremer » conte l’histoire de Ged, un jeune magicien, dans sa lutte contre l’Ombre sans nom qu’il a libéré des années auparavant. C’est beau, fin, doux et puissant. Un petit bémol toutefois, la quasi absence de femmes. Mais voilà, je pardonne tout à Ursula Le Guin…

Bon, la couverture de cette version poche est un peu moche

Nous sommes les oiseaux de la tempête qui s’annonce de Lola Lafon

Ce roman raconte la rencontre de la narratrice (« Voltairine ») avec la Petite Fille au Bout du Chemin, alors qu’elle attend le réveil de son amie Emile. C’est une histoire de sororité, de danse, de révolte, de justice et de recherche de sens. L’écriture est magnifique, comme toujours chez Lola Lafon. Par contre, ce livre parle de viol, de suicide et se termine mal (désolée pour le divulgachage), mieux vaut être préparé avant de le commencer.

Bandes dessinées

Saga de Brian K. Vaughan et Sonia Staples

Il s’agit d’un space opéra coloré, parlant de trucs profonds et d’autres moins, avec du cul joyeux, de la drogue, des moments de rigolades et d’autres de chialades, et une super diversité de personnages attachants, le tout sur fond de guerre galactique. Pour le moment, il y a 9 tomes sortis en France.

C’est comme ça que je disparais de Mirion Malle

Il s’agit d’une tranche de vie de Clara, qui lutte contre la dépression depuis des années. Les dessins sont très doux, les personnages d’une justesse incroyable. Là aussi, on parle de dépression (si vous aviez loupé les phrases précédentes ;)), pensées suicidaires et viol.

Petit guide pratique, ludique et illustré de l’effondrement d’Emile Bertier et Yann Girard

C’est une bédé détournant des vieux comics sur l’effondrement et la crise écologique. Il a peu de femmes, mais c’est très drôle, surtout si, comme moi, vous vous intéressez à l’écologie et l’anarchie, avec une tonne d’autodérision militante à la page. On y trouve la tribu des colibris ardéchois, les carbonistes anonymes, Pablo de Servigneth prêchant la bonne parole… Personnellement je me suis retrouvée dans le personnage de Davis Côtelette (celui qui parle pendant des heures de points de détails théoriques).

Essais

Sexe, race et pouvoir de Colette Guillaumin

Cet essai est composé de plusieurs articles de Colette Guillaumin. Elle y analyse l’idée de « Nature », son utilisation par les idéologies sexistes et racistes, et comment ces exploitations s’ancrent dans la vie matérielle et quotidienne via un rapport de domination sociale. C’est d’une puissance politique et radicale qui fait du bien. J’ai trouvé les articles faciles à lire et, en plus, avec pas mal d’humour.

Sister Outsider d’Audre Lorde

Sister Outsider est un recueil d’essais sur la poésie, sur le racisme, le sexisme, le féminisme blanc… La langue poétique d’Audre Lorde est magnifique, ses propos tout autant. Elle m’a donné de la force.

L’exploitation domestique de Christine Delphy et Diana Leonard

Il s’agit d’un essai sur les tâches domestiques et sur les structures hiérarchiques et les rapports de productions au sein des familles. Les autrices démontrent comment le partage des tâches domestiques découle de l’exploitation des femmes par la classe des hommes. La langue peut être des fois un peu pointue pour les non-initiées à la sociologies comme moi, mais ce texte est très éclairant, notamment sur les débats autour du travail gratuit.

Avant de finir

Les livres coûtent assez chers, en particulier les bandes dessinées et les essais. Heureusement, les bibliothèques municipales ont souvent un grand choix d’œuvres pour un abonnement prix abordables (le prix d’un roman grand format pour un an de lecture).

Pour les personnes qui aiment avoir sous le coude leurs livres fétiches, il est aussi possible de les acheter d’occasion dans certains librairies (Gilbert et Joseph, Terre des Livres à Lyon, etc.) et dans les recycleries et Emmaus, plus ou moins fournis en fonction des villes. Pour ces derniers, il existe même une boutique en ligne : Emmaus Label. Par contre, attention aux frais de port…

Et enfin, dans certaines villes, des militant·e·s tiennent des bibliothèques militantes, comme au centre autogéré la BAF à Grenoble qui propose une bibliothèque féministe.

Je suis aussi curieuse de vos coups de cœur 2020. Quels ont vos découvertes préférées ?

Pour aller plus loin/Sources

Privilégier les autrices :

Conditions des autrices et créatrices de BDs :

Romans féministes :

Visibilité des personnes autrices LGBTI+