Le temps est pareil à une brume argentée : insaisissable, il rend les événements ouatés et lointains. On ne voit rien à plus d’un mètre, alors on avance, un pas devant l’autre. Et puis un jour, le voile se lève et on découvre, étonnée, toute la distance parcourue.

Alors, que dire de 2021 ?

La partie 1 se trouve ici. Ici, on parlera de luttes.

Métro, boulot, syndicat

Voilà la grande nouveauté de cette année : mon passage à temps partiel. C’est un soulagement. Le changement était facile : j’en ai parlé à mon manager et ma RH, et c’est passé comme une lettre à la poste.

Par contre, j’ai perdu mes RTTs, des jours de congés, une partie de mon treizième mois et ma boite refuse de compléter à 100 % les cotisations sociales.

Mais, n’ayant ni enfant, ni voiture, mes dépenses sont relativement faibles, et la perte de salaire vaut largement le gain de temps. Je ne pense plus au boulot le week-end, si ce n’est pas cool quand même ?

Je me suis plus investie au sein du syndicat de mon entreprise. J’essaie en particulier de donner des coups de main pour la rédaction et la distribution des tracts. Je vois de plus près le travail fourni par les élu-e-s, et franchement, c’est impressionnant.

Je ne me rendais vraiment pas compter du cynisme de la direction. Oui, une direction d’une grosse entreprise a pour objectif de faire de l’argent, quitte à détruire la santé des salarié-e-s.

J’ai déjà parlé des problèmes de risques psycho-sociaux, et de la réponse hors sol de la direction et des « Ressources Humaines ». Fin, hors sol mais totalement compatible avec l’individualisation des problématiques collectives chère à notre société néolibérale : un programme tenu par un gourou New Age expliquant que tout part de soi et qu’il faut prendre les choses du bon côté. Sans parler des personnes « expertes » venant vendre des bouquins sur leur solution miracle basée sur l’amélioration de la fleur intestinale. Sûr que mes collègues qui ont des planning de 40 jours par mois ont dû apprécié.

Mon équipe n’est pas la seule avec des hauts risques psycho-sociaux. Plusieurs services ont été identifiés par mon syndicat, et remontés en Conseil Social et Economique (CSE), mais la direction ne fait rien. Elle laisse des collègues dans une souffrance crasse depuis plus d’un an. Et cela, avec le soutien du syndicat majoritaire. C’est fou.

Un autre exemple des intérêts divergents entre la direction et les salarié-e-s. Ma boite possède encore des usines en France. Suite à la crise composant (officiellement, mais on sait qu’elle veut se débarrasser de la partie production en France pour la délocaliser dans des pays à « moindre coût »), une partie des équipes de production a été mise en chômage partiel, ce qui signifie que les collègues auront moins de jours de travail et verront les sous sur leur fiche de paye diminuer. Il faut savoir que la majorité des indemnités chômages est payée par les cotisations sociales et les impôts, et que seule une toute minorité est payée par l’entreprise, et ce par obligation légale. La direction pourrait décider de compléter les indemnités, pour que les collègues puissent toucher une somme équivalente à 100 % de leur salaire. Mais non, elle préfère demander aux autres collègues de donner des jours de congés. On a donc une grosse entreprise du CAC40 qui vient faire la manche auprès des salarié-e-s afin de payer d’autres salarié-e-s qui sont en chômage partiel.

Bref, la direction est là pour faire de l’argent, quitte à pressurer les salarié-e-s et à les traiter comme des pions interchangeables.

Heureusement, le syndicat auquel j’appartiens défend les salarié-e-s, et remet les responsabilités où elles sont. Et franchement, je suis plutôt fière de participer à mon niveau à la défense du collectif. Je ne vais pas mentir par contre, ce n’est pas toujours facile, entre les attaques multiples de la part de la direction et la peur des représailles. Je suis encore un peu « planquée ». C’est dans mon caractère de séparer les différents aspects de ma vie mais, à un moment, il faudra bien assumer.

Féministe tant qu’il le faudra

J’ai rejoint un groupe anarcho-féministe l’année dernière. On participe aux collectifs et aux rassemblements unitaires, on organise des formations et des événements…

En terme d’organisation, je ne vois pas vraiment de différences avec nos façons de faire de mon ancienne association féministe, du moins dans nos modes de fonctionnement local (au niveau national, c’était une autre histoire…) : on décide démocratiquement chaque élément, on discute, on débat… Ah si, ici, il n’y a ni bureau, ni conseil d’administration, et donc pas de paperasse à faire (héhé).

Peu de différences, et donc les mêmes risques de burn-out, où la charge mentale pèse sur un petit groupe de personnes. Si chacune prenait un peu de poids sur ses épaules, on pourrait réaliser tellement de choses. Mais, ce n’est pas le cas. Alors, comment permettre à toutes de se sentir les forces de s’investir ? Comment partager les savoirs-faire sans prendre toute la place ? Comment aider sans imposer sa façon de faire ? Comment rendre possible l’investissement de toutes ?

Peut-être que tout simplement, les envies ne sont pas en ligne avec ce qui est prévu. Difficile de dire, quand peu participe. Rajouter des temps conviviaux ? Pourquoi pas, mais entre les enfants des unes, les partiels des autres, le besoin de repos de certaines, et les engagements militants dans d’autres structures, les agendas se rapprochent dangereusement de ceux d’ingénieurs en surcharge de travail.

L’épidémie de COVID n’aide pas non plus au dynamisme de groupe.

Bref, l’épuisement militant nous guette. Le désabusement, aussi.

Je n’aime pas trop finir sur des notes négatives.

Construire une lutte est un marathon, pas un 100 mètres. C’est long, ce n’est pas toujours cool (car se faire ch*** à se réunir pendant 2h pour discuter de l’organisation d’une manif ne rentre pas vraiment dans ma définition de cool), des fois on en bave et les résultats ne sont pas immédiats. Créer des liens de confiance, de la sororité/adelphité entre nous prend du temps et est contraire à des siècles de patriarcat. Et d’autres fois, il y a des moments de grâce, de complicité, de victoires, qui nous permettent de continuer.

Et c’est le moment de faire ma vieille : les changements sur les 10 dernières années sont impressionnants. Clitoris n’est plus un gros mot. Féminicide est rentré dans les termes courants. On ne peut plus faire semblant que les agressions sexuelles n’existent pas. On parle du travail invisible et non payé des femmes. Les normes de genre sont bousculés. Et tellement de collectifs féministes se sont développés !

Alors, oui, je souhaite un changement plus radical. Oui, il y a encore beaucoup de combats à mener, à gagner. Oui, des divisions internes nous font du mal. Oui, il faut (ré)apprendre à nous organiser. Mais, bordel, savourons un moment ce que l’on a réussi à faire, collectivement, malgré toutes nos différences. Cela nous nourrira, j’espère, pour les luttes en cours et du futur.

Les prochains mois vont être difficiles politiquement. Nauséabonds, même. Des personnes vont être attaquées car non-blanches, car lesbiennes, gays ou bies, car trans, car pauvres, car militantes de gauche, car tout ça à la fois. Il nous faudra la jouer collective, droites dans nos bottes, sans concession pour tou-te-s les fachos-compatibles.

Ce n’est que collectivement que nous arriverons au bout de ce monde de m***e, dans les collectifs féministes, écologistes, antiracistes, dans les syndicats, dans les groupes politiques.

Pour cette année 2022, je souhaite que vous trouverez la beauté où qu’elle soit. J’espère aussi que vous aurez la chance, dans la lutte, de sentir à vos côtés la force de camarades. Personnellement, c’est cette puissance collective qui me permet d’avancer.

Bonne année à vous.