C’est étrange comme le temps passe vite. Les collines se couvraient d’or et les feuilles rougeoyantes virevoltaient d’ans l’air, mais, quelques jours après, l’été et son soleil de plomb ses averses s’installent déjà et les bourdons butinent mes pieds de tomates. Oh, les canicules n’ont pas encore recouvert la ville de leur manteau suffocant, mais cela ne devrait plus tardé.

C’était hier. Comme tous les matins, je me suis levée, j’ai pris ma douche, j’ai bu mon thé et j’ai allumé mon PC. Sauf que cette fois-ci, j’ai paramétré une réponse automatique sur ma boite mail professionnelle pour deux semaines, j’ai éteint mon ordinateur, je me suis allongée sur mon canapé – à côté de mon chat – et j’ai pleuré.

Deux semaines, qui sont devenues trois puis cinq.

Burn-out.

Ces deux syllabes chuchotées honteusement avec un regard en coin.

Maintenant, je regarde autour de moi, et j’écoute. Je vois une de mes sœurs en état d’épuisement entre son travail professionnel et son travail domestique. Ma mère irritable qui se démène dans une boite qui a perdu le sens du service public. Mon frère, en état irritable permanent, dont le collègue s’est suicidé après avoir reçu des mails culpabilisateurs. Mes collègues stressés, qui ne font plus que le minimum demandé et qui naviguent à vue avec le peu de moyens que les actionnaires daignent leur laisser.

Une vraie épidémie.

Toutes et tous ne sont pas en burn-out. Cependant, toutes et tous souffrent du stress au travail et des conditions délétères de travail. Et ça, c’est déjà grave.

Mais commençons par le début : qu’est-ce que le burn-out ?

Tentative de définition

Le burn-out, ou de son petit nom francisé : « syndrome d’épuisement professionnel », est une conséquence du stress au travail (j’inclus dedans le travail militant et le travail domestique) et s’installe petit-à-petit dans un spirale de réactions au stress.

D’après l’Institut national de recherche et de sécurité, il se caractérise par 3 dimensions :

  • épuisement émotionnel, et notamment une fatigue émotionnelle, physique ou psychique dont on n’arrive pas à se débarrasser
  • cynisme, où on devient négative vis-à-vis des autres, et on se détache de notre travail et des autres
  • sentiment de non-accomplissement personnel au travail où on a l’impression d’être dans une impasse, d’être nulle, inefficace et de ne pas arriver à s’en sortir

Les impacts sont là aussi multi-dimensionnels :

  • émotionnel : sentiment de perte de contrôle, des tensions nerveuses, des peurs mal définies. On peut aussi être irritable, hypersensible, ou carrément ne plus montrer d’émotion
  • cognitive : il est difficile de réfléchir, de prendre des décisions, on a moins de concentration, et on fait de façon plus souvent des erreurs dans nos tâches
  • physique : la fatigue, toujours elle, on a des troubles du sommeils, des douleurs musculaires mais aussi des maux de tête, une prise ou perte de poids, des vertiges…
  • comportemental : repli sur soi, comportement plus agressif, on traite les autres comme des objets et on a de plus en plus de pratiques addictives (alcool, drogues…)
  • motivationnel et attitudinal : désengagement dans son travail, perte de motivation, on se dévalorise soi-même

Les symptômes liés au burn-out sont partagés par d’autres pathologies comme la dépression, les problèmes de thyroïde… ce qui rend le diagnostic assez difficile. De plus, le burn-out n’est pas reconnu comme maladie par les bibles médicales que sont le DSM et le CIM. Il n’existe donc pas de description clinique officielle sur laquelle les médecins pourraient s’appuyer.

Il existe bien des outils anglophones d’évaluation du burn-out, mais, d’une part, ils ont des limites liées à la définition du burn-out utilisé et aux biais culturels ― les réactions au stress ne seront pas forcément les même en fonction de sa culture ― et, d’autre part, les traductions françaises possèdent probablement des biais. Bref, il y a encore de la recherche à faire dans ce domaine.

Récemment, l’OMS a reconnu le burnout comme « phénomène lié au travail », ce qui pourrait à terme changer la donne sur la reconnaissance du syndrome comme maladie professionnelle.

Ainsi, il est difficile de faire des statistiques sur un syndrome qui n’est officiellement pas reconnu. Quelques études existent cependant, notamment sur le stress au travail.

Des chiffres

En 2012 (oui, il y a presque 10 ans), la médecine du travail remontait à peu près 2% des salarié·e·s souffraient de troubles de la santé psychique en lien avec le travail, dont fait partie le burn-out.

Ce pourcentage a significativement augmenté entre 2007 et 2012 : de 1,7% à 2,25%. C’est lié au développement des nouvelles pratiques managériales, au développement non maîtrise des outils informatiques, au développement des openspaces… bref à l’aggravation des conditions de travail au sien de l’entreprise (j’y reviens un peu plus loin).

Au passage, on remarquera que le nombre de médecins du travail ayant participé à l’étude ont diminué entre 2007 et 2012. Austérité, tousse toussa (commentaire tout à fait subjectif ;)).

Les femmes sont plus touchées que les hommes : 3,1% ont des troubles de la santé liés au stress au travail contre 1,4%. Toutes les classes sociales sont concernées, avec un plus fort risque chez les cadres que chez les ouvrières et ouvriers. Une des hypothèses est que la dégradation des conditions de travail est plus forte chez les cadres.

Mais bon, quand on voit les conditions de travail des professions ouvrières et des professions intermédiaires, ce n’est pas le paradis non plus et les pratiques managériales pourries se diffusent chez ces professions.

Des personnes plus à risque que d’autres…

Certaines personnes auront plus tendance que d’autres à développer un syndrome de l’épuisement : celles qui s’engagent fortement dans le travail en lui donnant une importance très forte dans leur vie, qui sont consciencieuses, et qui vont avoir tendance à considérer les choses comme menaçants, problématiques ou pénibles par défaut.

Certaines personnes en situation de handicap seront aussi plus vulnérables au burn-out, notamment à cause de cadres de travail non adaptés ou de leur handicap qui peut dans, certaines situations, rendre plus difficile le traitement des situations anxiogènes.

Sauf que cette tendance individuelle ne doit pas effacer la cause du burn-out, et de toute forme de stress au travail : l’organisation du travail.

Mais des causes structurelles

Eh oui, les facteurs de risques de burn-out sont liés à l’organisation du travail. Si ces facteurs n’existaient pas, il n’y aurait pas de burn-out, ni de souffrances liées au stress au travail, et ce même pour les personnes ayant un terreau plus défavorable.

Alors, à quoi correspondent ces facteurs de risques ?

Ce sont en fait les même que l’ensemble des risques psycho-sociaux au travail : exigence énorme du travail (surcharge, pression…), faibles récompenses, faible contrôle sur son travail, mauvaises relations au travail, conflits de valeurs, manque de clarté dans les objectifs et dans les moyens, insécurité dans l’emploi, charge émotionnelle…

A cela, on peut ajouter les violences de tous types, le harcèlement, handiphobie, LGBTIphobie, racisme, sexisme, …

De plus, l’organisation de l’espace de travail comme l’openspace et son petit frère le flex office, en dépersonalisant les salarié·e·s et en facilitant le flicage par les managers, les environnements bruyants et la perte du collectif, sont aussi des vecteurs de risques psycho-sociaux.

Une responsabilité légale de l’entreprise

Et cette responsabilité de l’entreprise est inscrite dans la loi : l’employeur a l’obligation légale de mettre en place des mesures pour lutter contre les risques psycho-sociaux, avec une obligation de résultats. La responsabilité pénale de l’employeur peut même être engagée en cas de non respect de son obligation, c’est-à-dire que votre patron peut être condamné par un juge s’il ne fait rien pour lutter contre les conditions pourries dans sa boite. Pour les personnes intéressées, il s’agit de l’article L4121 du code du travail.

Avant d’aller plus loin sur le monde professionnel, je fais un arrêt sur d’autres formes de travail. Ces facteurs de risque ne sont pas propre au monde professionnel. On les retrouve aussi pour le travail domestique et le travail militant.

Aparté sur le travail domestique et le travail militant

Rappelons que les femmes font en moyenne 32h de tâches domestiques en plus de leur travail salarié (en 2010 d’après les chiffres de l’INSEE), sans compter toutes les autres formes de travail non comptabilisées (toutes les tâches domestiques ne sont pas du travail et à l’inverse le travail domestique n’est pas restreint à une liste de tâches domestiques). Cela est d’autant plus vrai pour les mères et encore plus pour les mères célibataires.

Le travail domestique est une extorsion du travail des femmes : elles font gratuitement du travail au profit des hommes et de la société. Travail avec une forte charge, non reconnu, engageant en terme émotionnel… Bref, à risque d’un point de vue stress.

A quand l’abolition du travail domestique ? Et peut-être qu’une réflexion radicale sur nos modèles familiaux devrait être menée car la famille nucléaire n’est peut-être pas la forme la plus adaptée pour s’occuper d’enfants, mais là, je déborde de mon sujet de départ 🙂

Le milieu militant n’est pas non plus exempt de facteurs de stress, comme l’ont démontré les nombreux témoignages qui ont fleuri sur les réseaux sociaux ces dernières années.

Dans mon ancienne association féministe, j’ai été témoin et des personnes m’ont fait part de cas de harcèlements, d’agressions, de luttes de pouvoir,… Oui, entre femmes. Eh non, les femmes ne sont pas par essence non-violentes 😉

Sans compter les violences externes que l’on peut se prendre en plein gueule de la part des dominants qui ont peur pour leurs privilèges : intimidations physiques, insultes, harcèlement sur Internet, menaces de mort et de viol…

Et à cela, ajoutons l’absence de formation pour recueillir certaines histoires, qui peuvent faire écho à la notre et réveiller des douleurs anciennes, une exigences de performance, des conflits de valeurs, et on obtient un cocktail bien corsé de risques psycho-sociaux. En résultat, beaucoup de militantes ont fait des burn-outs militants (dont moi). Quel gâchis.

Des associations d’accompagnement et de soutien ont remonté le manque de moyens matériels avec lesquelles elles doivent composer, qui ajoutent une charge en plus et qui ont poussé certaines à arrêter leur travail si précieux.

Les moyens sont aussi importants que la fin, il faudrait construire un militantisme qui ne reproduirait pas le monde que nous voulons détruire, mais qui en son sein permettrait d’avoir une idée de celui que nous voulons construire. Ce serait un apprentissage jour après jour, plein de tâtonnements, d’erreurs, de remises en questions et de joie. C’est important, la joie. Vaste projet, mais ça vaudrait le coup, non ?

Ok, et maintenant, que faire si on est en burn-out ?

On verra ça dans le prochain article.

PS : je mettrai toutes les sources/pour aller plus loin dans l’article prochain.