A l’origine, j’avais prévu de rédiger un article sur le burn-out. J’ai vu – sur le Net et dans mon entreprise – des propos dangereux culpabilisant les personnes et déresponsabilisant les entreprises. Et puis, pourquoi pas, exorciser cette phase d’épuisement, dont je ne suis pas totalement sortie, en y mêlant mon expérience personnelle. Bref, j’aurai aimé, à mon échelle, remettre les choses à l’endroit, dans ce monde cachant les structures oppressives sous des choix individuels et biaisés.

J’ai lu des explications de l’INSERM, un rapport parlementaire, des études statistiques. Je suis tombée sur des blogs top (et moins top). J’ai mis de côté des articles de féministes de côté, qui n’attendent que d’être lus. Mes notes sont au chaud sur mon disque dur.

Sauf qu’entre-temps la Commune m’a happée et ne m’a pas lâchée jusqu’à que j’obtienne une version potable d’une nouvelle sur ce thème.

Les aléas de l’écriture…

Donc plutôt que de vous parler de directions laissant ses salarié·e·s crouler sous le stress au travail, j’aimerai vous parler de la Commune de Paris, d’écriture et de banalisation de la violence.

Notes : si vous avez des liens intéressants sur le burn-out, je suis preneuse 🙂

Il y a 150 ans : la Commune de Paris

La Commune de Paris est une période révolutionnaire de 72 jours, où des personnes, comme vous et moi, ont décidé de prendre les choses en main pour essayer d’obtenir un monde où les gens pourraient vivre de leur travail sans exploitation de quelques uns sur les autres. Mais pas que.

Elle s’inscrit dans une longue histoire de luttes sociales, de grèves, de combats pour la démocratie… mais aussi dans la fin d’une guerre catastrophique et de patriotisme, la chute d’un Empire, l’élection d’un parlement composé en majorité de monarchistes (faire du neuf avec de l’ancien, comme on dit), et un siège long et dur de Paris où les parisien·ne·s souffrirent (encore plus) du froid et de la faim pendant cet hiver 1870-1871.

Alors, quand le gouvernement décide de signer une amnistie avec la Prusse (le gouvernement se montrera plus motivé pour réprimer la Commune que pour combattre la Prusse) et de récupérer en loucedé les canons payés par le peuple et entreposés sur la butte de Montmartre, ça passe mal.

La Commune, c’est un conseil élu mais aussi des comités de quartiers, des lieux et des clubs, un peu partout, où on débat. Une effervescence politique.

En vrac, la Commune a voté la récupération par les ouvriers (au masculin, oui) des lieux de travail abandonnés par les patrons, l’école gratuite pour tout le monde, fille et garçon, la séparation de l’Église et de la Commune, l’arrêt du Mont-de-Piété (système de micro-prêts avec des grosses indemnités), le versement d’une pension aux veuves des fédérés – mariées ou non – et aux orphelins légitimes ou naturels, la fin du travail de nuit pour certains métiers, … Même des hommes non français ont pu être élus !

Bien sûr, il nous faut être honnête et regarder en face les limites de cette révolution. Déjà, les femmes n’avaient pas le droit de vote ou d’être élues. Elles n’ont pas été non plus payées comme les hommes pour des tâches équivalentes. De plus, les mesures sociales étaient assez limitées. Par exemple, les objets entreposés au Mont-de-Piété n’ont pas été tous redonnés à leur propriétaire. Ou encore, personne n’a osé touché à la Banque de France.

Mais 72 jours c’est court, surtout quand on doit se protéger en même temps contre un gouvernement qui envoie l’armée pour mettre à fin à notre utopie (et massacrer les révolutionnaires).

De l’écriture

150 ans après, des nombreux événements sont organisés pour commémorer la Commune de Paris, encore trop peu connue. A mon niveau, j’ai répondu à un appel à texte dans le genre de l’Imaginaire (terme recouvrant les genres de Science-Fiction, Fantastique, Fantasy).

Mon idée à la base était d’écrire un faux journal de bord d’un·e ouvrier·e d’un monde futuriste, reprenant jour après jour les événements de la Commune de Paris : du début de la guerre contre la Prusse pendant l’été 1870 jusqu’au 28 mai 1871, fin de la répression sanglante des Communard·e·s par les Républicains.

Je me suis vite rendue compte de l’ambition de mon projet. Déjà car des recherches monstrueuses étaient nécessaires en peu de temps, et aussi car j’avais peur d’être happée par les événements historiques et de pas arriver à raconter une histoire. Car après tout, c’est ça une nouvelle ou un roman : raconter une histoire.

J’ai donc diminué la voilure en ne me concentrant sur une journée : le 24 mai 1871.

Le 24 mai, c’est 3 jours après que l’armée républicaine soit rentrée dans Paris. Le massacre systématiques des communard·e·s par les versaillais commencent, ainsi que probablement des viols dont peu de personnes témoignent.

Le 24 mai, c’est les grands incendies (qui ont commencé la veille), l’abandon de l’hôtel de Ville où se réunissait le comité de la Commune (les élus), l’exécution d’otages versaillais par certain·e·s communard·e·s.

Pour moi, c’est un peu un moment charnière, même si militairement parlant, la prise de Montmartre par l’armée versaillaise, avec le soutien de la Prusse, est probablement plus importante.

La violence comme facilité scénaristique

Et c’est là que commence ma réflexion.

Pourquoi choisir cette date ? Pourquoi ne pas avoir choisir une journée type durant la Commune ?

J’aurai pu raconter comment les gens s’organisaient pour construire un monde meilleur, plutôt que de m’appesantir sur sa destruction, non ?

Raconter comment les gens vivaient pendant la Commune, les débats, les actions directes, la solidarité, les cantines populaires, la suppression du carcan clérical… Mais aussi comment les gens trouvaient à manger, à boire, s’occuper des un·e·s des autres ? Bref, raconter la vie de tous les jours sous la Commune. La vie des femmes, des enfants, des inconnu·e·s.

Au lieu de ça, j’ai choisi un jour de la Semaine Sanglante.

Par facilité. Car il est aisé de créer des enjeux dans une période violente. C’est même plutôt simple. Mais, n’est-ce pas alors banaliser la violence ? Pire, en insistant sur la répression d’un mouvement social, ne risque-t-on pas de s’inscrire dans la volonté des Versaillais et de tous les dominants : faire peur pour empêcher les gens de comprendre le pouvoir énorme qu’iels ont en luttant ensemble ?

Et de façon générale, n’est-ce pas participer à la banalisation de la violence, et pire à la rendre cool ?

Il est quand même difficile de rendre cool un massacre comme la Semaine Sanglante avec ses dizaines de milliers de mort·e·s, mais d’autres histoires que j’ai écrite peuvent tomber dans ce travers.

Or, la violence n’a rien d’anodin.

Tuer des gens ou leur faire du mal n’a rien d’anodin.

Et rendre cool l’utilisation de la violence n’a rien d’anodin.

Utiliser la violence comme ressort scénaristique me semble une facilité. Certaines autrices arrivent à ne pas tomber dans ce travers, comme Ursula Le Guin (<3) ou plus récemment Becky Chambers.

Un jour, j’aimerai écrire dans le langage de la nuit des histoires qui racontent les gens dans leur humanité et leurs nuances. En attendant, je vais essayer à chaque fois de débusquer la violence, et de la montrer dans toute sa complexité. Vaste projet.

Pour finir, la fin d’un poème qui a donné le titre de ma nouvelle sur la Commune :

J’ai publié ceci pour pouvoir dire : à tous par tous,

Peuple, médite et souviens-toi

Que tu es force et nombre,

Mais que

Tant que tu seras force et nombre sans idée

Tu ne seras qu’une bête de somme.

J’ai publié ceci pour te dire, peuple,

Que ton émancipation réside dans ta solidarité ;

Pour te dire que l’heure la plus sombre

Est celle qui précède l’aurore.

Le peuple au peuple, Théodore Six

Vive la Commune !

Sources/Pour aller plus loin :

Edit du 02/06/2021 : ajout du lien vers le mini-cd de Dubamix et d’ l’origine de l’expression “langage de la nuit”