Des troubles dans l’humeur

Avant-propos : ce billet va parler de dépression. Si vous avez des pensées suicidaires, le numéro national de prévention du suicide peut vous aider : 3114.

Depuis quelque temps, je navigue à vue. Chaque vague à l’âme, chaque joie devient suspecte. Le moindre frémissement de mes humeurs est inspecté au microscope à la recherche d’un signe de montée ou de descente.

J’ai vécu longtemps dans une zone brumeuse, entrecoupée de moment de poisse noire, collante. Comme du goudron sur le corps et le cœur.

Ce sera mieux à la fac. Ce sera mieux à 20 ans. Ce serait mieux après ton concours. Ce sera mieux à 25 ans. Ce sera mieux quand tu travailleras. Ce sera mieux à 30 ans. Combien de temps perdu dans une attente hypothétique de vivre un jour ma vie ?

J’ai donc décidé de me faire aider. J’ai cru réussir à comprendre, à limiter mes états gris. J’avais survécu.

Dépression. Blues. Mélancolie.

Et puis, j’ai fait un burn-out. J’en ai déjà parlé longuement ici et ici. La dépression est un facteur à risque pour les burn-outs, mais la cause principale reste l’organisation du travail, qui maltraite les salariées. Sans organisation déconnante, pas de burn-out. Le travail détruit les corps et les esprits, je ne le répéterais jamais assez.

S’en sont suivi des moments d’énervement, enchaînés tout de suite par des phases de blues.

Et puis, suite à une surcharge militante et professionnelle, des questionnements identitaires et à un décès d’une amie dont je parle rapidement ici, je suis tombée dans un gouffre. Mes amarres ont toutes lâché les unes après les autres, et je suis tombée, tombée, tombée…

Les anti-dépresseurs ont sauvé ma vie. Ce n’est pas le cas pour tout le monde, je fais partie du tiers de personnes pour lesquelles ils ont marché.

Un peu trop.

L’euphorie est montée petit à petit, comme une grande marée. Tout était source de challenges, rien ne me résistait : le travail, l’organisation politique, ma vie amoureuse.

Une nuit, mon corps a dit stop. Il a décidé de partir tout seul, tremblotant d’excitation et empli d’une joie sans cause, laissant mon esprit KO au fond du crâne.

C’est un peu facile de revenir à cette séparation esprit/corps, mais c’est l’impression que j’ai eu : un esprit témoin quasi passif des jubilations de mon corps. Heureusement, il était un peu encore là, à donner la direction générale : les urgences. Merci à mon amour de la lecture qui me fait compulser même les notices de médicaments.

Les deux-trois journées qui ont suivi sont floues. Je me rappelle avoir étudié des prises réseaux pendant une dizaine de minutes regrettant de ne pas avoir pris de quoi pirater le réseau de l’hôpital (comme si j’aurais pu) et d’avoir tournoyé en dansant dans la chambre des urgences psychiatriques.

On m’a sevré des antidépresseurs, la joie des vomissements et des maux de tête, et donné de nouveau médicaments, des thymorégulateurs, sans bien m’expliquer la composition et les effets secondaires. Le risque de diabète et la prise de poids, je l’apprendrai plus tard, en faisant mes propres recherches. Je continue à prendre ces médicaments, qui ont l’air de m’aider, mais je ne crois pas que l’on puisse parler de soins consentis. Comment consentir quand on ne sait pas ce qui arrive ?

Ce sont mes arrêts de travail qui ont mis les mots sur ce qui m’est arrivé : décompensation hypomaniaque. Aucun des médecins croisés me l’a dit directement. Seul un bout de papier bistre a bien voulu être direct avec moi. Voilà, je suis bipolaire. Mot tabou.

Sans surprise pour moi, en fait. Cela fait écho à ma vie.

Je sais que les définitions des diagnostics posent questions, car sont toujours liées aux normes de la société – et donnent du pouvoir aux psychiatres sur ce qui est « normal » ou non. Mais celui-ci m’aide pour le moment à mieux me comprendre, même si je n’ai pas connu les extrêmes des phases d’excitation que certaines personnes peuvent vivre.

Maintenant, je mène ma barque en slalomant entre les blues et les énervements, les prises quotidiennes de médicaments et les peurs de mon entourage. Des miennes aussi.

À vivre, malgré tout.

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  1. @Liza Merci beaucoup pour ce partage de récit de vie.Poke @AtanIsta

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