Naël regardait le soleil plonger dans l’eau. Les vagues caressaient les plantes de ses pieds d’un doux clapotis. Des chants d’oiseaux courraient dans l’air. Des oiseaux, ces animaux mythiques ! Naël ria doucement. Le ciel changea rapidement de couleur passant d’un orange chaleureux à rose pâle puis violet sombre. Quelques points scintillants piquetaient la nuit. Et dire qu’il y a des milliers d’années de distance, des êtres humains comme lui avaient regardé le même ciel du même endroit.
Catégorie : Les rêves de l’Arcadie Page 1 of 3
Azza rangea le peu d’affaires qu’elle avait. Elle n’emporterait que son maser avec elle. Elle n’avait besoin de rien d’autre pour une renaissance. Car c’était ce qu’elle éprouvait, une renaissance. Tout son ressentiment, sa haine s’étaient évaporées à la vue de Mira. Elle avait imaginé pendant des années ce qu’elle ferait subir à la traîtresse mais, une fois devant l’ancienne mousse entourée de ses filles, elle n’avait été plus sûre de rien. Elle ne voulait plus être responsable de la création d’orphelines. Quand elle pensait à la jeune femme et ses regrets qui la rongeaient, elle n’éprouvait plus que de la pitié teintée de dégoût. Toutes ses mortes pour ça. Quel gâchis.
Azza était assise entre les lits de Zakioru et Klirus, seulement dérangée par les bruits des respirateurs et des gouttes de la perfusion qui pendaient à leur bras. Son nez cassé avait été ressoudé par le Doc’ en moins d’un jour et presque sans douleur grâce à ses pommades maison. Elle alternait la veille avec Rezol, constatant à chaque fois leur lente guérison. De temps en temps, Juli passait lui tenir compagnie entre deux corvées et racontait tout et rien pour la distraire.
Le choc de l’eau froide réveilla Azza. Elle aurait bien injurié les coupables, mais ses muscles encore paralysés bloquèrent les récriminations au fond de la gorge.
Naël et Artur profitaient du soleil timide de fin de matinée. Ils avaient sorti une table et un goban qu’ils avaient posés devant le vaisseau, et décortiquaient la soirée en sirotant du rhum. Au bout d’une demi-heure de jeu, Yuka réapparut sans un mot, tunique froissée et faux cheveux en bataille. Elle s’engouffra sans un mot à l’intérieur du vaisseau. Naël n’était donc pas le seul à avoir eu une soirée fructueuse. Il n’était pas jaloux, tout le monde avait le droit de prendre son pied. De plus, il avait trop à réfléchir pour s’appesantir sur les images de deux corps entremêlés de femmes. Jorel de Seila lui avait décrit de très belles opportunités dans la zone grise de la légalité, à ne surtout pas manquer. Avec beaucoup de Feds à la clef, avait déclamé le marchand d’une voix emplie de trémolos. Il était juste question de vols de médicaments à une planète souffreteuse et pauvre.
Solaire. C’était peut-être qui définissait le mieux leur hôtesse, lumineuse dans sa robe vaporeuse jaune canari. Elle était le centre d’un groupe d’hommes, charmeuse au possible, drôle, belle. Azza pouvait comprendre l’envie de s’enfermer avec elle quelques heures pour explorer chacune des courbes de cette fameuse duchesse. Presque tous les hommes étaient sous emprise, absorbant chacun de ses gestes, chacun de ses mots. Presque, car l’homme à la droite d’Anila de Seila restait de marbre, répondant d’un air poli et vaguement intéressé à chaque tentative de la belle rousse, daignant à peine jeter un regard à leur hôtesse de ses yeux gris et froids qu’Azza ne reconnaissait que trop bien.
Naël écarta les draps satinés. Un bruit arrêta son mouvement. Il se retourna lentement vers la silhouette toute en courbes de sa voisine.
— Tu te lèves déjà, mon beau capitaine ?
Il embrassa le ventre de la duchesse mais n’obtint en réponse qu’un rire léger et endormi. Trop endormi. Dommage. Il se redressa et attrapa son pantalon qui traînait sur le sol.
— Je vais m’en fumer une. Rendors-toi, ma jolie.
Il traversa la chambre, immense, plus grande que la salle commune du vaisseau, et ouvrit la porte-fenêtre en verre, signe de richesse parmi tant d’autres dans ce manoir au luxe tranquille.
Une main s’abattit sur les épaules d’Azza.
— Oh, juste à temps, mon brave, vous n’avez pas mis beaucoup de temps pour une fois…
Qu’avait-il tous à lui sortir du « mon brave » ? Azza se retourna, sans se départir de son sourire commercial. Ses gencives commençait à la faire souffrir. Comment Kalozka pouvait-il bien supporté cette sensation ? Peut-être n’était-elle pas faite pour être pirate. Ou arnaqueuse, ce qui semblait assez lié vu les méthodes du capitaine.
C’était fou à quel point la Fédération aimait les files. Peut-être autant que l’ordre. Quoique, ce n’était pas propre à ce coin de la galaxie, ces deux tares étaient partagées avec l’Empire. Naël n’avait pourtant jamais autant attendu que dans ce foutu bâtiment administratif. Pourtant, il en avait passé du temps à attendre. Dans des couloirs, dans des vaisseaux, dans des tranchées, dans des prisons. L’impression d’être auprès d’une grenade qu’il pouvait dégoupiller au moindre geste malheureux ne diminuait pas la sensation d’inaction qui commençait à lui portait sur les nerfs. Bon, pour ce dernier point, il se savait en partie responsable et il enfouit au plus vite le sentiment de culpabilité qui le submergeait à chaque fois qu’il voyait Yuka.
Attention : une scène de sexe, où un des protagonistes outrepasse les limites d’une autre, est décrite dans ce chapitre.
Naël sortit de la salle de bain dans un nuage de vapeur, une simple serviette autour des hanches. Il s’était amusé à tester tous les flacons posés sur le rebord du bain et une odeur de fleurs et de sucre le suivait. Il avait oublié ses affaires propres dans la chambre, mais Yuka, partageant sur le navire la même cabine qu’un homme, ne devrait pas s’offusquer de sa petite tenue. Si c’était le cas, la situation ne pourrait être que drôle.