Le choc de l’eau froide réveilla Azza. Elle aurait bien injurié les coupables, mais ses muscles encore paralysés bloquèrent les récriminations au fond de la gorge.

Elle fut soulevée et jetée sur le lit par deux hommes en bleu qui l’allongèrent sur le dos. Un troisième homme en blouse blanche l’observait, visage impassible, une seringue à la main. Sans prévenir, il lui planta l’aiguille en plein plexus. Elle se plia sous le choc.

Les trois hommes s’éloignèrent hors de son champ de vision. La douleur pénétra dans les moindres ramifications de ses nerfs. Mille couteaux la transperçaient, des lames de froid glissaient sur sa peau, des flammes emplissaient ses poumons, des dagues traversaient son cerveau. Elle se mit à hurler.

Elle se débattit tellement contre l’ennemi invisible qu’elle en tomba du lit. Elle se recroquevilla, sans force ; du liquide chaud coula le long de ses jambes. Ses hurlements devinrent des gémissements. Elle avait mal, tellement mal. Le temps s’étira en une longue agonie.

Puis la douleur s’en alla, ne laissant qu’un souvenir brumeux, et le froid reprit sa place. Grelottante, elle entendit à peine les hommes sortirent. Elle ferma les yeux, heureuse de sentir le sol dur et tiède contre son flanc.

Après de longues minutes, la porte se rouvrit et une chaise racla le sol jusqu’à ses pieds, suivi d’une suite de pas rapide.

― Vous m’aviez dit qu’elle pouvait de nouveau parler, réprimanda une voix dure.

Azza connaissait cette intonation un peu traînante. Elle essaya de fixer ses idées.

Gris. Froid. Sel. Pourpre.

Elle fut soulevée de nouveau et assise sur le lit telle une de ces poupée de chiffons que, petite, elle rêvait d’avoir. Elle ouvrit les paupières et croisa le regard de l’homme sur la chaise. Et elle se rappela.

Barzami. Sable. Mort. Maser. D’autres morts. Révolte. Prison.

Elle avait envie de vomir et elle était dans un vaisseau de la Fédération Unitaire Galactique mené par le colonel Minerie, à destination d’une prison pire que la précédente. Et des enfants étaient mortes, à cause d’elle, une simple fille de boue. Non, pas à cause d’elle, se morigéna-t-elle, à cause de ce système inique et l’homme en face d’elle était plus responsable qu’elle dans le massacre.

― Je m’excuse de la rudesse du réveil, commença Minerie. Nos chercheurs n’ont pas trouvé nécessaire de remédier aux effets secondaires du déparalysant qui sont quelques peu… inconfortables.

Elle répondit par une grimace.

― Avez-vous besoin de quelque chose, Madame Azza ?

Elle se rendit compte qu’elle puait. Elle réprima la honte de la souillure et répondit d’une voix pâteuse :

― Une douche.

Il acquiesça.

― Et une cigarette, continua-t-elle d’une voix plus sure.

― Aucune cigarette n’est autorisée dans mon vaisseau. Pour raison de santé et de restriction d’oxygène, ajouta-t-il. Soldats, veuillez accompagner la dame jusqu’à la douche. Nous continuerons notre discussion après.

Les hommes s’approchèrent d’Azza. Elle recula contre le mur. Trop faible pour se débattre, elle se laissa menotter. Ils la soulevèrent puis lui posèrent un bandage sur les yeux avant de la pousser devant eux. Elle entendit des murmures lors de son passage. Elle compta une une centaine de pas, une descente de marches et trois virages avant qu’ils lui retirèrent le bandeau et les menottes. Elle cligna des yeux, les rétines saturées par le blanc étincelant d’une salle de bain commune. Une légère odeur de désinfectant embaumait la pièce. Ils découpèrent ses vêtements malpropres, puis la poussèrent sous l’eau tiède.

Azza fit abstraction des regards peu amènes des soldats et se frotta la peau comme elle put, chassant la saleté et la peur. Cette dernière était plus difficile à laver. « Transformons notre peur en rage, et notre rage en force », répétait souvent Irami. Et de la force, elle en aurait besoin. Immobile, elle profita de l’eau coulant sur sa tête, du crépitement des gouttes sur le sol, mais un aboiement d’homme la ramena en elle. Elle sortit à contrecœur et se sécha avec une serviette de fortune. Elle se posta nue devant les hommes :

― Où sont mes habits ?

Sa voix ne s’était pas enraillée, mais les yeux moqueurs des hommes lui découpèrent la peau comme des lames. Elle resta droite. Elle était forte. Elle était fière. Un des hommes, le plus vieux, fit un mouvement de menton vers une chaise sur laquelle était posé un tas de vêtements. Blancs, forcément. Elle enfila comme elle put les fripes avec l’aide du plus jeune, qui lui ferma les boutons dans le dos. Si elle frappait le soldat maintenant, elle serait à la merci du deuxième. Ses chances étaient faibles, vu son état d’engourdissement général. Elle avait l’impression d’être plongée dans du jus de riz épais. Et dans tous les cas, elle était dans l’espace, dans un vaisseau rempli d’ennemis et en vogue vers une destination inconnue. Elle avait un espoir : que l’Arcadie retrouvât sa trace et que les pirates fussent assez inconscients pour se mettre réellement à dos la Fédération. Peu probable, ils n’avaient qu’à disparaître quelques temps pour se faire oublier. Il lui restait à surveiller toutes les ouvertures possibles et à saisir sa chance à bras le corps dès qu’elle le pourrait. Plutôt crever que de retourner dans un trou à rats.

Une fois habillée, ils la ramenèrent dans sa cellule, menottée. Au bout d’un temps indéfini – cinq minutes ? Dix minutes ? Une heure ? Une journée ? elle ne savait plus – quelqu’un lui lança une gamelle emplie d’une bouillie couleur crème passée.

Blanc, blanc, blanc, encore du blanc. Tout n’était que dérivé de blanc dans ce foutu vaisseau fédéral. Si les couleurs avaient fui, peut-être y arriverait-elle aussi.

Azza se jeta sur la gamelle. Elle ne s’était pas rendue compte à quel point elle avait faim. Elle récupéra tous les morceaux graisseux du bout des doigts et lécha la moindre goutte. Pas plus mauvais que la tambouille de restriction servie par Saelys. Sa pitance finie, elle s’allongea sur le lit et attendit. Tu es forte, tu es fière, se répéta-t-elle comme un mantra. Une envie de cigarettes l’a pris aux tripes. Si elle sortait vivante de ce traquenard, elle se promit d’arrêter le tabac.

Au bruit du chuintement de porte, Azza se redressa au mieux. La cellule tourna quelques secondes devant ces yeux avant de se stabiliser. Une silhouette fine s’assit sur la chaise, pendant qu’un garde fit le pied de grue devant la porte.

― J’ai mis du temps à faire le lien entre le jeune homme au climatiseur et la mystérieuse femme du pirate, commença Minerie, petit sourire en coin.

― C’était le but, commenta-t-elle platement.

La beauté froide du colonel la décontenançait.

― Ce n’était donc pas la guerre qui me fit faire le lien entre les deux voix. Voyez-vous, j’ai peu l’occasion de goûter aux accents Ralong. Puis, j’ai reçu le journal des primes de la guilde des Mercenaires où j’ai eu la surprise de découvrir que le jeune chauffagiste était recherché pour meurtre sur l’astéroïde Nighty et avait été aperçu parmi l’équipage de l’Arcadie. Une fois ce rapprochement fait, il a été aisé de comprendre qui vous étiez. Après tout, votre évasion a fait quelque peu jaser dans le milieu. Pourquoi étiez-vous aux Archives ?

Devant le silence de l’ancienne rebelle, Minerie soupira.

― Nos hommes sur place ont fouillé le moindre recoin. Nous avons trouvé un petit élément qui n’avait pas sa place sur notre réseau. Du bel art… Or tout art est signé. Je reconnaîtrai entre mille la patte de notre ami commun Phoenix. J’ai déjà eu affaire à lui par le passé et j’ai suivi de près l’enquête sur votre évasion de la planète-prison XUR-52284. Vous me le présenterez un jour ?

Silence.

― Bon, c’est votre droit de vous taire.

Il rit devant sa surprise.

― Pas besoin d’afficher cet air étonné. Je n’aime pas perdre mon temps. J’ai lu les rapports de mes prédécesseurs fanatiques de… la méthode lourde. Si vous n’avez rien dit à l’époque, vous ne direz rien maintenant. J’ai toute confiance en nos spécialistes, ils arriveront à décortiquer la radio-puce. Ce n’est qu’une question de patience. Vous avez déjà pensé au mariage ?

Surprise, Azza répondit :

― Non, jamais.

― Même avec cette femme, comment s’appelait-elle déjà ?

― Ne parlez pas d’Aurore, menaça-t-elle.

― Donc, Aurore. C’est un beau prénom. Avez-vous eu l’impression de la trahir en vous mariant avec ce pirate ?

― Ne parlez pas d’Aurore, répéta-t-elle d’un grondement sourd.

Il la jaugea avant de reprendre :

― Vous l’aimiez donc vraiment. Qu’est-ce que cet homme vous a offert pour que vous acceptiez de vendre ainsi votre indépendance ?

― C’est pour votre indépendance que vous refusez le mariage ? répondit-elle.

― Oui, en partie.

Il croisa ses mains devant lui et plissa ses yeux gris:

― Je n’aime guère l’idée de rentrer après une longue mission et de retrouver une femme triste au milieu de mon salon.

― Ou un homme triste ?

― C’est contre-nature, répondit-il calmement. Mais revenons à vous. Vous n’avez pas fait ça pour l’argent, vous n’êtes pas intéressée par l’argent. C’est plus noble, même s’il est difficile d’associer ce terme à cet individu douteux… Une question d’honneur… Une promesse ou la vengeance, peut-être.

Il médita quelques secondes, scrutant le visage fermé d’Azza, avant de faire signe au garde :

― Envoyez le message de mettre sous surveillance tous les chefs impliqués dans l’arrestation de Azza Yuredig. Code Deuta.

Et se retournant vers Azza :

― Cela correspond aux risques élevés d’attentats, expliqua-t-il. Mieux vaut être prudent avec une femme comme vous. Vous n’êtes pas fatiguée de semer la mort autour de vous ?

― Et vous ?

― C’est mon poids à porter pour changer les choses.

― Eh bien, c’est mon poids à porter pour changer les choses, rétorqua-t-elle.

Une pointe de malice apparut dans le regard froid. Il reprit :

― Aurore, votre ancien équipage, sans compter toutes les personnes innocentes d’avant, une centaine au moins. Le braquage sur Cruk’lior a été une vraie boucherie. Et l’attentat de la place des peuples, sur Uranie ? Il y avait des enfants parmi les victimes. Êtes-vous réellement sans cœur ?

Azza chassa l’image du garçon aux yeux voilés qui la fixait sous les décombres. Pas. Maintenant.

― Vous avez tué Aurore et mon équipage, cracha Azza.

― Pas moi.

― L’armée intérieure, vos bitards de chefs, vous. C’est pareil.

― Les insultes ne sont pas nécessaires.

― Si, cracha-t-elle. Vous avez choisi votre camp.

― Pour protéger les faibles.

― Pour protéger les forts, plutôt.

― C’est votre point de vue ? Les forts sont là pour protéger les faibles. C’est dans l’ordre de la nature et suivre la nature apporte le bonheur à tous. C’est l’enseignement que nous offre l’histoire. Et vous, vous êtes responsable de la mort d’innocents. Vous savez combien de personnes sont mortes après votre indiscrète arrestation ?

Il se leva et lui cracha d’une voix froide et lente :

― Tout le village !

Il se mit à tourner tel un fauve dans une cage.

― Tout le village est mort, et c’est à cause de vous, de vos faux espoirs, de votre combat vain…

Azza ferma les yeux. Elle revit la tablée joyeuse, la mer violine, les rires des enfants. Elle sentit à peine les larmes couler le long de ses joues. Il continua, adouci :

― Vous voulez aller trop vite. Le monde n’est pas prêt pour votre idéal, vous distillez l’espoir, mais vous ne savez qu’entraîner que la mort dans votre sillage.

Azza était lasse. Elle voulait juste dormir et oublier.

― C’est faux, murmura-t-elle. Ce monde est la mort. Ces gens sont morts car ils voulaient être vivants. Vous ne pouvez pas comprendre.

― Expliquez-moi.

Elle leva ses paupières lourdes. Il était penché vers elle, visage sérieux.

― Pourquoi ?

Il se rassit.

― Je veux comprendre. Si je comprends, je pourrais peut-être vous éviter la peine de mort.

― Pourquoi ?

― Parce que nous sommes plus proches l’un de l’autre que vous ne le pensez.

Un blanc et il reprit :

― J’ai choisi de modifier les règles de l’intérieur et vous de l’extérieur, mais le but est le même. Les femmes, vos sœurs comme vous les appelez, sont restreintes dans leurs capacités et la Fédération perd de précieux cerveaux en ne les éduquant pas. Un vrai gâchis. Vous en êtes la preuve. Vous êtes intelligente, sinon vous n’auriez pas pu résister autant de temps à notre armée. Néanmoins, sans éducation, vous avez perdu votre énergie à vouloir changer des choses immuables, à vouloir contrecarrer l’ordre de la nature. De plus, j’ai lu quelques écrits de Irami Dienka, votre ancienne seconde. De très beaux textes malgré des erreurs manifestes de raisonnements dues à la colère. Peut-être que celle-ci vous a fourvoyée, vous a éloignée de votre cause. Cette colère est compréhensible mais envahissante, énergivore et source de tragiques égarements. Mais nous pourrions être alliés. Nous pourrions éviter d’autres morts.

― Je ne retournerai pas en prison.

― Je peux vous éviter la prison. Aidez-moi et je bloquerai votre jugement. Donne-moi des informations sur Phoenix, sur Kalozka, et je te promets, Azza, tu n’iras pas en prison. Tu as ma parole.

Un rire nerveux secoua Azza.

― On passe au tutoiement, hein ? Mais ça ne sert à rien.

Et, devant le léger froncement de sourcils du jeune colonel, elle expliqua :

― Je préfère la peine de mort à la prison. Ou pire, la trahison. Franchement, peut-être que ta parole à une valeur, je ne sais pas, j’aimerai y croire, mais celle du colonel de l’armée intérieure n’en a aucune.

Et elle referma les yeux. Elle voulait être seule. Un léger soupir. Un raclement de chaise.

― Bien, je te laisse y réfléchir tranquillement et nous en reparlerons demain. Bonne nuit, Azza.

Fermeture de la porte. Seule, enfin, avec ses regrets. Elle ajouta une phrase à son mantra : « Tu es forte. Tu es fière. Ce n’est pas de ta faute. » Peut-être qu’à force elle y croirait.

***

Naël regardait le petit écran que lui indiquait Issam. Le minuscule point bleu dans le coin gauche indiquait la présence d’un vaisseau de petite taille pour les canons militaires, taillé pour les interventions rapides. Probablement plus vif que son vieux coucou. Naël tapota amicalement le tableau de bord de son Arcadie. Peut-être que son vaisseau commençait à prendre de l’âge, mais il avait plus de ressources que l’on imaginait. Surtout cette bonne vieille voile électromagnétique qui permettait d’approcher quasiment sans être repéré d’autres navires, même bourrés d’électroniques comme devait l’être celui qu’il poursuivait. Naël leva la tête pour obtenir l’accord silencieux d’Artur. Il prit le micro :

― C’est parti, les gars. Chacun à son poste.

Il partit à grand pas jusqu’au sas et enfila sa combinaison, imité par Artur, Zakioru, Mazziek, Saelys, le Doc’ avec son sac-à-dos bourré de médocs et les jumeaux. Xiafi seconderait Mizsel aux canons, Juli donnerait un coup de main à Linor en cas de casses mécaniques ou de brisures de tôle pendant qu’Issam resterait dans la cabine de pilotage, prêt à filer dès leur retour.

Naël arma son maser, vérifia l’emplacement de ses couteaux et se posta devant la fermeture du sas. La crainte profita de l’attente pour lui envahir le cerveau. Il ne savait pas qu’est-ce qui l’attendait, si ses hommes en sortiraient tous indemnes ni dans quel état ils retrouveraient Yuka. Oh, l’adrénaline ferait son effet au moment de l’abordage pour chasser toutes ses appréhensions, mais là, les minutes se dilataient dans le silence, le moteur ayant été arrêté.

Un choc les secoua et le sas s’ouvrit sur un tunnel à la paroi fine qui reliait l’Arcadie au vaisseau fédéral. Naël verrouilla son casque avant de faire signe à Zakioru. Ce dernier traversa la passerelle, canon à plasma à la main. Le matelot s’empressa de percer la paroi du vaisseau ennemi, Naël et Mazziek pointant leur maser par-dessus son épaule. Dès que le morceau de tôle se détacha du reste de la coque, des alarmes assourdissantes se mirent à signaler l’intrusion et le pentzanien se jeta au sol, laissant ces deux compères envoyer une giclée d’ondes à l’intérieur de vaisseau ennemi. Naël s’arrêta de tirer et leva la main. Personne en vue.

Sous son ordre, le groupe d’hommes s’avança dans une cabine à la lumière vacillante sous des diodes rouges clignotantes. « Cabine une place, un vrai luxe », chuchota Saelys. Naël leva trois doigts. A ce signe, les jumeaux se postèrent de chaque côté de l’ouverture et, quand les doigts furent repliés en un poing, ils passèrent la porte, suivis du reste de la troupe.

Soudainement, Klirus s’effondra. Rezol riposta en hurlant et tirant à l’aveugle devant lui, pendant que les autres hommes se collèrent contre la paroi. Naël vit deux corps en bleu tombés comme des flocons.

Plus de bruit.

Un blessé – mort ? non blessé, se força à penser Naël – donc un blessé de leur côté et deux menaces de moins de l’autre.

Le Doc’ profita de l’accalmie pour tirer avec Rezol le corps de Klirus au sein de l’Arcadie. Une secousse les firent chavirer, mais l’apesanteur artificielle les maintint au sol. D’autres à-coups suivirent. Naël refoula son mal de l’espace. A son geste, ses hommes s’élancèrent dans le petit couloir, tirant sur tout ce qui semblait bouger.

Nouveau soubresaut. Ils atteignirent ce qui semblaient être le couloir central. Naël stoppa le groupe, pencha la tête et recula vite pour éviter une onde qui lui chauffa le casque. Il leva son arme et compta mentalement : trois… deux… un et il fonça le premier en tirant à tout va. Des silhouettes tombèrent, vite enjambées par d’autres hommes en bleu. Et tout devint un capharnaüm bleu et blanc de bras et de jambes. Naël sortit son couteau et frappa devant lui. Il n’entendait plus que les ahanements des hommes entrecoupés de cris de douleurs retenus.

Puis, un ordre fût jeté et les soldats disparurent, laissant derrière eux deux de leurs camarades. Naël s’approcha des blessés. Le premier essaya d’attraper son pistolet. Naël l’assomma d’un coup de crosse. Le deuxième, moins vindicatif, eut droit au même sort. Naël n’aimait pas laisser des surprises derrière lui. Il monta sur l’esplanade, Mazziek calé sur son pas. S’il y avait une cellule de quarantaine, elle serait là. Du moins, c’était le cas dans ses anciens vaisseaux, et tous les navires militaires étaient faits de la même façon, non ?

Du coin de l’œil, il vit ses hommes se placer le long du couloir, armes pointées prêtes à tirer. Ce serait bête de pouvoir faire sortir la sorcière et d’être coincés par des survivants hargneux.

Nouvelle secousse. Il s’accrocha à la rambarde pour ne pas valdinguer par dessus bord. Il balaya l’image d’une passerelle pendouillant dans le vide sidéral et repéra une porte coincée à mi-ouverture. Il prit son élan sur la courte balustrade et ouvrit la porte d’un coup de pied… Il se retrouva dans la mire d’un maser tenu par une Yuka échevelée et aux pupilles dilatées par la surprise et la rage. Quelques secondes furent nécessaires avant qu’elle le reconnût et baissât son arme, quelques secondes de trop que le colonel acculé contre le mur mis à profit pour se jeter dans les jambes de Yuka. La sorcière fit un magnifique plat. L’homme l’immobilisa de tout son poids et tenta de récupérer le maser de sa main libre. Naël envoya son genou dans la tête du blondinet qui relâcha sa prise.

― Eh bien, heureusement que je suis là, petite fleur, se moqua-t-il en offrant son aide pour la relever.

― Je me débrouillais très bien avant que tu arrives, marmonna-t-elle.

Elle accepta toutefois la main tendue. Une fois debout, elle déchira un morceau de sa robe, qui devait à l’origine être blanche, pour se l’enfoncer dans le nez.

― Très gracieuse, mon petit soleil, commenta-t-il en coulant son regard sur les jambes dénudées de l’ancienne rebelle.

Kjer org’riler tur, Kalozka

Il n’avait pas besoin de comprendre le Ralong pour saisir le sens général de la phrase et réprima un rire sous le regard mauvais de Mazziek. Il était occupé à tenir à distance deux soldats collés contre le mur.

― On en fait quoi ? demanda l’homme de main en pointant du menton le colonel.

Ce dernier se releva, vacillant et soutenu par ses hommes. Du sang ruisselait sur son visage et un prisme de haine pure miroitait dans les yeux gris du colonel.

― On le laisse là, répondit Azza, nasillarde.

Naël n’insista pas. C’était le choix de la belle mais, à sa place, il n’aurait pas laissé vivant quelqu’un le fixant avec un tel regard. Il avait déjà un peu trop d’ennemis sur le dos.

Ils redescendirent et furent en un clin d’œil entourés par les arcadiens qui formèrent un bouclier humain autour d’eux. Nouvelle secousse. Ils revinrent sur leur pas aussi vite que la démarche chancelante de la jeune femme leur permit. Le visage déterminé de l’ancienne rebelle dissuada Naël d’offrir toute aide. Ce n’était pas le moment de froisser quelques susceptibilités.

Des cris d’alerte et Zakioru se plia de douleur. Prestement, les hommes encore valides envoyèrent le blessé au centre du groupe et répliquèrent, en avançant toujours. Yuka et Artur passèrent chacun un bras sous l’aisselle du fantassin, le portant presque, ce qui semblait un poil miraculeux vu l’état de la jeune femme, et tous suivirent le pas rapide imposé par Naël. La corvée fut courte. Ils traversèrent la passerelle au pas de course et Mazziek ferma le sas sous le feu nourri de Naël.

Toute la troupe fut projetée contre la paroi quand le vaisseau alluma les moteurs pour s’éloigner à toute vitesse du navire fédéral. Quand l’accélération diminua à un niveau supportable, Naël fit un tour de ses troupes. A part Zakioru et Klirus dont les états étaient inquiétants et qui avaient été tout de suite pris en charge à l’infirmerie, le reste était plutôt indemne. Il nota quelques coupures par ci, quelques bleus par là et un saignement de nez. Rien d’insurmontable.

Il rejoint Issam pianotant sur ses écrans.

― On les sème ?

― Oui, cap’taine. Le petit souvenir qu’on a laissé dans leur coque va les occuper encore quelques temps.

― Bien. On fera un point sur notre plan de vol quand on sera hors de portée de leur radar. D’ici là, tout est entre tes mains.

Issam ne répondit pas, concentré sur les appareils de mesure. Naël observa encore quelques temps le pilote se démener. Tout se passait comme prévu. Il lui faudrait faire le tour de ses hommes, vérifier l’état des blessures et du moral, comptabiliser les réserves de munitions… Mais d’abord, une douche.