Le mois de décembre est le mois du bilan. La mélancolie douce de l’automne s’efface, les dernières feuilles lumineuses tombent et le soleil – quand il apparaît – disparaît derrière les immeubles avant d’avoir eu le temps de sortir le bout de son nez.

Oui, le mois de décembre est le mois du bilan. A faire avec un bon thé chaud et un plaid. Je vais d’ailleurs de ce pas relancer la bouilloire.

Cette année a été une année mouvementée par plusieurs aspects. Le bilan se fera donc en plusieurs parties. Voici la première axée sur le côté militant.

Gilets jaunes, quel est votre métier ?

J’ai intégré à un groupe local de gilets jaunes. C’était fort de voir toutes ces personnes venant de milieux et d’histoires différentes, ensemble pour changer la société. Je vais faire abstraction des guerres d’égo, du racisme et du sexisme qui pointaient régulièrement son nez (en fait, comme dans tous les milieux militants). Il était parfois difficile de discuter sereinement, nous avions tellement à dire que nous nous écoutions quelquefois peu et nous nous coupions mutuellement la parole. Micro-agressions dommageables. L’organisation a été laborieuse, car comment trouver l’équilibre entre la décentralisation des actions et la centralisation des informations, sans les connaissances techniques pour développer nos propres outils ?

J’en retiens toutefois une souplesse d’esprit, une impression d’adelphité forte, un goût pour la démocratie directe et une allergie à la hiérarchie et aux dogmes. Bref, le mouvement des gilets jaunes m’a rendu anarchiste.

Et j’ai participé à beaucoup de manifestations. Plus d’une vingtaine.

Banderole Gilets Jaunes : "Un peuple pacifique, un pays magnifique, un pouvoir tyrannique, une révolution historique"
Banderole Gilets Jaunes

Des fois festifs, comme à Saint Étienne ou à Valence, avec des pantins géants, de la musique et une colère joyeuse.

Des fois moins.

J’ai vu des gangs néo-fascistes courir en rythme, armés de barre de fer, parcourir le cortège pour repérer des cibles à frapper. Eux n’ont pas eu de soucis avec la police. Bienvenu à Lyon. Heureusement que des militant-e-s antifascistes étaient là.

J’ai vu la violence policière, et j’ai eu peur. Peur de perdre un œil. Peur d’avoir un bras cassé. Peur de voir mes proches blessé-e-s. A cause de la police. A tel point que le jour où j’ai vu un cocktail Molotov volé sur un groupe de CRS, je me suis dit qu’ils l’avaient bien cherché

Je pense en particulier à une manifestation nationale qui était organisée à Lyon. Un début dans une ambiance folle, optimiste, colorée, bardée de slogans, d’une colère festive malgré le cordon sanitaire des gendarmes et policiers. Et puis, la tête de manifestation ralentie par trois rangs de policiers de la BAC qui insultent les gens et les menacent de les gazer si iels vont trop vite. Comment voulez-vous que les gens ne répondent pas ? Et donc affrontements, et nasse sur les quais. Le guet-apens parfait, et une fin sur un air de gâchis.
Les actions de blocage sans violence contre les personnes étaient peu médiatisées. La presse ne retenait que les feux de poubelle.

Tout cela questionne sur l’objectif et les tactiques utilisées pour les manifestations. Quelles sont leurs rôles ?

Faire venir du monde pour montrer un soutien populaire ?

Bloquer des endroits stratégiques ?

Faire peur aux voleurs en col blanc pour qu’ils arrêtent de tous s’approprier sans contrepartie ?

Affronter la police qui frappe et silence les colères et les espoirs des gens ?

Je n’ai pas de réponses à ces questions, juste une hypothèse de base qui me tournicote dans la tête : les moyens sont aussi importants que la fin.

Je voudrais finir cette partie par un rappel. La violence policière s’abat en particulier sur les gens des quartiers populaires et sur les personnes racisées qui les dénoncent depuis très longtemps, mais aussi sur les militant-e-s gauchos, écolos qui souhaitent modifier en profondeur la société. Soutien à toutes et à tous, aux victimes et à leurs familles.

Changeons le système, pas le climat

En parallèle du mouvement Gilets Jaunes, un mouvement écologique repart. Quelques militant-e-s écolos sont déjà présent-e-s chez les Gilets Jaunes, et les rencontres – au début difficiles – vont être de plus en plus fréquentes.

La différence étatique de traitements entre les écolos et les gilets jaunes est édifiante. Lors du blocage de la Défense en avril 2019, les seules violences policières constatées sont des sorties forcées un poil rude des militant-e-s. Rien à voir avec la répression à l’encontre des Gilets Jaunes.

Est-ce lié aux tactiques utilisées ? A la classe sociale des personnes ? A la perception du gouvernement de la moindre dangerosité des mouvements écologiques ?

Peut-être un peu de tout cela.

J’ai toutefois beaucoup aimé les marches pour le climat et ce blocage réussi.

Blocage du ministère de l'écologie à la Défense par des militantes et militants écologiques
Blocage du ministère de l’écologie, 19 avril 2019

Nous sommes fortes, nous sommes fières et féministes et radicales et en colère

J’ai aussi repris le militantisme féministe après une longue pause. Doucement, tout doucement. Avec des femmes formidables, bienveillantes, dans une ville qui l’est moins. Une bulle de sororité dans ce monde patriarcal. Mais cela demande du temps, et de l’énergie.

Car la colère demande de l’énergie.

Expliquer pour la cinquantième fois qu’une femme est un être humain, ça demande de l’énergie.

Essayer de construire des ponts avec les autres femmes, dans une société qui pousse au contraire, demande de l’énergie.

Être résiliente face aux attaques masculinistes et violentes, qui peuvent même venir de personnes se proclamant du même bord, demande de l’énergie.

Créer son armure face aux micro-agressions sexistes de tous les jours demande de l’énergie.

Organiser des rencontres, des débats, des actions coup de poings, rédiger des communiqués de presse, demandent de l’énergie.

Et des fois, je n’en ai plus assez pour moi.

Femme aux cheveux constellées d'étoiles, collage à Paris

Le burn-out militant est un mal de plus en plus reconnu dans les milieux concernés, mais il est très dur de lutter contre. Je le sais, je l’ai vécu. Nous voulons bien faire, réagir à chaque saillie sexiste, être une parfaite militante qui ne s’énerve jamais et qui a la bonne répartie au bon moment. Foutue éducation patriarcale qui pousse au mal être tant de femmes et a tant d’impact sur notre militantisme.

Prenons soin de nous et soyons bienveillantes entre nous. Ce sera une de mes résolutions de l’année 2020.
Cette année a été particulièrement marquée par la lutte contre les féminicides et leur nécessaire reconnaissance mais aussi par les violences racistes à l’encontre des femmes musulmanes, notamment contre celles portant le foulard.

Pour le féminicide, ce n’est pas fini, car quelques soient les mesures promises dont parle le gouvernement – et on sait que cela ne veut rien dire, ce gouvernement étant le champion toute catégorie du double discours – nous ne pourrons pas mettre fin aux féminicides et aux violences patriarcales contre les femmes (et les enfants) sans politique volontariste d’éducation non sexiste, sans formation des profesionnel-le-s aux mécanismes d’emprise et des agresseurs, sans mettre à bas la précarité et les violences économiques qui lient les femmes à leur bourreau et limitent leurs choix de vie (et quand on voit la réforme des réformes que ces messieurs-dames nous pondent, on en est loin). Et tout ça demande de mettre l’argent sur la table. La vie des femmes le mérite largement.

Pour les attaques racistes, ne tombons pas dans le panneau et soyons solidaires avec ces femmes insultées, humiliées, agressées pour leur habillement, malgré les désaccords politiques que nous pouvons avoir par ailleurs avec certaines d’entre elles sur d’autres sujets et le piège que peuvent nous tendre les fascistes de tous bords. N’oublions pas que de, tout temps, les systèmes autoritaires ont cherché des bouc-émissaires et que les femmes en sont très souvent les premières victimes.

Bref, la lutte – comme la vie – continue.

Liberté, égalité, sororité.

Pour aller plus loin

  • Violences policières & Gilets jaunes
    • « Allo, place Beauvau » relevés des violences policières ayant eu lieu lors des manifestations Gilets Jaunes
    • Page pour soutenir à la famille d’Adama Traore
    • Il existe beaucoup de pages de soutien aux familles de victimes. Faire une recherche « Justice et Vérité » sur votre moteur de rechercher préféré pour savoir à qui donné votre argent en trop
  • Sororité
    • Une définition de sororité
    • « Messages venus des marges : Pour mieux construire le mouvement féministe », Claire Heuchan, 2017, traduction du site TradFem
    • « De l’usage de la colère : la réponse des femmes au racisme», Audre Lorde, 1981, traduction sur le site Infokiosques