Cette année, j’ai décidé d’être plus exigeante en terme de lecture, que ce soit pour le genre des auteurices, mais aussi du contenu en lui-même. Il y a beaucoup trop de chefs- d’œuvres, de livres remue-ménages pour perdre du temps sur des bouquins pour lesquelles je n’accroche pas ou qui ne me touche pas d’une manière ou d’une autre.

Le risque, bien sûr, est de passer à côté de coups de cœur inattendus. Tans pis pour moi. Je m’inquiète plus de m’enfermer dans un type de lectures, mais vu la diversité des œuvres de femmes, je pense que la probabilité de ce risque est faible.

En 2022, j’ai donc lu 142 œuvres (sans compter les livres pour enfants que j’ai offert à mes nièces et neveux). Comme l’année dernière, la moitié de mes lectures sont composées de bandes dessinées (merci les bibliothèques municipales <3), un quart de roman et nouvelles, et 20 % d’essais.

Graphique du type de livres lus

Comme genre des romans/nouvelles, rien d’inhabituel : de l’imaginaire aux trois-quarts. Pour les essais, le féminisme reste majoritaire, mais les thèmes sont plus diversifiés que l’année dernière : anarchisme, histoire, validisme, antiracisme sont à peu près au même niveau.

Camembert du type d'essais lus

Côté BD, là aussi une certaine diversification : moins de SFFF et plus de littérature blanche, de comics et d’histoire (plus ou moins « réaliste »).

Cela devient une habitude, et je me suis déjà expliqué dans le bilan 2020, j’aime faire un pas de côté pour comprendre quels imaginaires m’ont nourrie cette année : de qui proviennent-ils ? De quel type ? Avec quelle(s) représentation(s) ?

Note : les limites sont les mêmes que pour l’exercice 2020.

La majorité des auteurices lues sont de fait des autrices pour 68 %; des hommes pour 29 % et de groupes des deux à 19 %. Une belle amélioration par rapport à 2021. La raison est ma tentative de choix explicité des femmes. Sans cette décision, la proportion aurait été probablement inverse. Comme en 2021, la proportion de femmes est plus élevée pour les romans/nouvelles (97 % de femmes) que pour les essais (62 % de femmes) ou les BDs (52 % de femmes).

On remarquera là aussi une nette augmentation d’autrices de BDs par rapport à 2021. Vu que beaucoup de BDs proviennent de bibliothèques, je me suis obligée à chercher les femmes autrices. Cette contrainte m’a poussé à lire des Bds qui m’auraient moins attirées dans un premier temps (dont de très très chouettes), d’où la plus grande diversité que l’année dernière.

Concernant les personnages de fictions, le personnage type est une femme (59%), blanche (75%) et hétérosexuelle (74%). La proportion de personnages blancs a beaucoup augmenté cette année, il s’agit d’un point à travailler cette année pour éviter d’avoir un imaginaire uniquement blanc et s’ouvrir à des imaginaires moins occidentaux/majoritaires.

Mes coups de cœur parmi les coups de cœur

Romans/nouvelles

La sélection a été très difficile. Mais voilà, ce sont ces trois là qui m’ont au final le plus marquée.

Stone butch blues de Leslie Feinberg

C’est l’histoire d’une femme prolétaire, qui découvre la culture lesbienne butch. On suit sa vie de ces années de bébé butch aux années 80. Elle traverse les grèves, les années de renouveau féministe où, paradoxalement, son identité de lesbienne butch est remise en cause, puis tente une transition vers le plus masculin.

Couverture du livre, en noir, bleu et blanc. Des usines crachent de la fumée. Des silhouettent à leur pied marchent.
Couverture du livre Stone Butch Blues

Le livre arrive à aborder des décennies de cultures LGBTI et luttes syndicales, féministes et antiracistes. C’est beau, c’est mélancolique, c’est rageant. Ça parle aussi de sororité. Il faut lire Stone butch blues au moins une fois dans sa vie.

Eschatologie du vampire de Jeanne-A Débats

Il s’agit d’un recueil de neuf nouvelles se passant dans le même univers que « Métaphysiques d’un vampire » (si vous ne l’avez pas lu, stoppez tout et revenez une fois cette erreur réparée) et de « L’Héritière ». On retrouve la patte de Jeanne-A Débats et notre cher Navarre, vampire de son état, en plutôt mauvaise position.

Couverture du livre. Paris avec un ciel brumeux rougeâtre. Un drone vole au dessus de la Seine
Couverture d’Eschatologie d’un vampire

Je n’en dirai pas plus, mais ce fut un réel plaisir de dévorer ces nouvelles, que l’on découvre liées les unes aux autres pour, à la fin, nous parler d’une fin de monde réaliste et solidaire.

Les cent mille royaumes de N. K. Jemisin

De la fantasy, des dieux, des complots de pouvoir, de l’amour et des relations parentales toutes pétées, le tout écrit par N. K. Jemisin. Juste cette phrase devrait vous donner envie de lire ce roman.

Couverture des cent royaumes. Une femme noire en robe blanche et manteau noire regarde d'un air sûr d'elle devant elle.
Couverture (pas top top) des cent mille royaumes

En plus, il est le 1er tome d’une trilogie, où chaque livre suit un personnage différent à une époque différente. Très chouette pour creuser l’univers et les relations entre chaque protagonistes.

Bandes dessinées

Adieu Triste amour de Mirion Malle

Mirion Malle fait partie des autrices que je suis depuis 2015 avec son blog Commando Culotte, qui a édité par la suite en livre (que je conseille fortement, of course). J’essaie de me procurer ses livres à chaque sortie.

Adieu triste amour est une BD douce comme je les aime : Cléo découvre que son compagnon est accusé d’avoir harcelé une ancienne camarade de classe. A partir de là, des doutes, s’immiscent puis c’est le temps d’un nouveau départ. La sororité a une place énorme dans ce livre. En plus, il y a des histoires lesbiennes/bies <3

Sur un fond de maisons en neige, une femme blanche aux cheveux décolorés attrapent la main brune d'une autre femme hors cadre
Couverture d’Adieu Triste Amour

A écouter en même temps : « Nos désirs font désordre », Un podcast à soi, de Charlotte Bienaimé :

Lore Olympus de Rachel Smythe

Là, on est dans de la pure romance hétérosexuelle, dans la grande tradition. Eh oui, j’ai adoré Lore olympus, le personnage de Persephone, l’histoire toute douce avec Hadès, le traitement des violences dans l’enfance, des emprises et de violences psychologiques ou sexuelles.

Couverture de Lore Olympus. Elle est partagé en deux : en bas, Persephone sur un cheval dans de l'herbe rose et un ciel bleu ; en haut, Hadès en costume debout sur un fond bleu d'immeubles gris
Rose et bleu : oui, on est dans de la romance bien hétérosexuelle 😉

En plus, les illustrations sont très belles.

My broken Mariko de Waka Hirako

Cette bande dessinée m’a touchée très fortement, peut-être parce que je l’ai lu peu après l’annonce du décès d’une amie ou parce que je luttais contre la dépression en même-temps.

L’histoire suit une femme apprenant que son amie d’enfance s’est donnée la mort. Elle décide alors de récupérer l’urne funéraire des bras du père violent, pour l’emmener jusqu’à la mer.

Couverture de "My Broken Mariko". Une femme blanche et cheveux châtains au vent, tient une urne funéraire en fumant une cigarette et les yeux dans le vague
Couverture de “My Broken Mariko”

Une sorte de course poursuite emprise de deuil. Très beau et intense.

Essais

Les doigts coupés de Paola Tabet

J’avais déjà conseillé Paola Tabet pour le bilan de 2021 pour son livre sur les échanges économico-sexuels. Je continue cette année avec « Les doigts coupé. Une anthropologie féministe ». Cet essai est composé de trois chapitres : le premier revient sur les échanges économico-sexuels, le deuxième aborde la construction de la naturalité de la fertilité (en bref : la fertilité est une construction sociale…) et le dernier nous montre comment les hommes s’approprient les outils et la technique, pour ne laisser aux femmes que le travail utilisant moins d’outils, et donc dévalorisé et invisibilisé.

Couverture de l'essai "Les doigts coupés". Titre sur fond gris. Le sous-titre est "Une anthropologie féministe"
Couverture de l’essai “Les doigts coupés”.

Ces trois chapitres sont en lien les uns avec les autres et permettent de mieux comprendre les différentes facettes du patriarcat.

Comme pour « La grande arnaque », beaucoup de pratiques violentes sont décrites (c’est identifiable dès le titre…). On sort de cette lecture mieux armée contre le patriarcat et avec la rage de tout changer.

Commune de Paris, toujours debout ! Actes de colloques de la CNT

La Commune, je suis tombée dedans il y a deux ans, peu de temps avant les célébrations de ses 150 ans. Ce moment révolutionnaire mérite d’être mieux connu. Tout en étant ancré dans une période historique (fin du Second Empire) et un espace géographique (les villes), plein de leçons et d’espoirs peuvent en être tirés.

Ce livre revient sur des interventions lors d’un colloque animé par la CNT. Cependant, il m’a semblé très facile à lire. Beaucoup d’aspects différents sont abordés : le courant anti-autoritaire de la Commune (dont certains membres deviendront anarchistes – quand ils n’ont pas été massacré), les femmes, et leur organisation, les Communes de Lyon, Marseille, Bordeaux, mais aussi les lois du travail, l’art…

Couverture de "Commune de Paris, Toujours debout!". Fond blanc. Illustration ancienne de fédérés devant une tribune. Sous-titre : "Actes du colloque Il y a 150 ans, la Commune de Paris"
Couverture de “Commune de Paris”

Bref, c’est très complet et très instructif. Le livre est structuré en différents chapitres indépendants, ce qui peut faciliter la lecture.

En bref, que vive la sociale !

Des blancs comme les autres ? d’Illana Weizman

Ce livre traite d’antisémitisme. L’autrice rappelle son histoire plurimillénaire, ses faces actuelles et la nécessité d’analyser l’antisémitisme tel qu’il est : un racisme. Elle nous parle aussi des impacts sur sa construction d’elle-même et de nécessité de convergence entre tous les antiracismes, sans effacement des cultures propres à chaque minorité.

Couverture du livre "Des blancs comme les autres ?". Fond rouge flash et blanc. Le sous-titre est "Les juifs, angle mort de l'antiracisme"
Couverture du livre “Des blancs comme les autres ?”

Tout le passage sur l’antisémitisme à gauche m’a énormément touché : comme un reflet déformé, je me suis revue quelques années auparavant proférer des analyses qui, au fond, charrient des images complotistes et antisémites.

A mettre entre toutes les mains.

Coup de coeur à part

Zami d’Audre Lorde

Audre Lorde fait partie de ces révélations qui marquent une vie. Zami est une autobiographie romancée de sa vie ; de son enfance à un âge mûr ; au grès des galères, des amours, des rencontres avec des femmes, de sa construction en tant que femme noire, lesbienne, féministe, poétesse, mère, guerrière. L’écriture est poétique, la rage constructive, la beauté bien présente.

Couverture de "Zami". Fond blanc. Au centre, un portrait d'Audre Lorde se tenant le menton. Le sous-titre est : "une nouvelle façon d'écrire ton nom"
Couverture de “Zami”

J’aurai aimé parlé de beaucoup d’autres livres (dont des bonnes découvertes de séries de comics). J’en parlerai peut-être l’année prochaine. Et vous, quels sont vos coups de cœur de l’année 2022 ?