On l’a vu, le temps partiel est un des facteurs des inégalités salariales entre les femmes et les hommes.

Une petite salve de chiffres (en France) pour enfoncer le clou sur cette différenciation genrée (pour une définition du genre, voir la présentation du blog « ça fait genre »)

Plus de 80 % des emplois partiels sont pourvues par des femmes.
30 % des femmes en emploi sont à temps partiel. Oui, une femme sur trois !
Seuls 7 % des hommes en emploi le sont.
Bref, le temps partiel ne concerne pas de la même façon les femmes et les hommes.

Temps partiel et précarité

Mais, mais, où est le problème, c’est cool le temps partiel, non ? On a du temps pour soi et tout ne tourne pas autour du boulot !

Soit.

Sauf que (et oui, il y a un sauf que…) le temps partiel est dans la majorité des cas imposé par l’employeur. Et si les personnes en temps partiel pouvaient passer en temps plein, un tiers le ferait.

Et (là je vais écrire une évidence) qui dit temps partiel, dit salaire partiel et dit… retraite partielle qui est de 1050 euros en moyenne par mois (contre 1740 euros pour les hommes).
Bref, quand on a un salaire de cadres, un temps partiel, c’est suffisant pour payer le loyer et de profiter de loisirs. Quand on est au SMIC, ça devient compliqué. Et bizarrement (ou pas), les branches à majorité féminine sont souvent au SMIC et à temps partiel, mais on y reviendra plus en détails dans le prochain billet.

Temps partiel qui peut aussi cacher des heures supplémentaires non payées, comme le témoignent les femmes de ménage de l’entreprise STN travaillant à l’hôtel Ibis de Batignolles, en grève illimitée pour demander de meilleurs conditions de travail (entre autres).

Raisons du temps partiel

Donc, revenons à cette différenciation de temps partiel. Deux causes principales peuvent expliquer cette différenciation :

  1. Le travail des femmes est encore considéré comme un travail d’appoint
  2. Le partage du temps de travail ménager

Je vais détailler ici le deuxième point. Sur la notion de travail d’appoint, j’espère écrire un billet une autre fois !
En fait c’est un peu la question de la poule et de l’œuf : les femmes sont à temps partiel à cause du travail domestique ou les femmes réalisent le travail domestique parce qu’elles sont à temps partiel et mal payées ?

Et bien, exploitation du travail domestique et exploitations du travail salarié sont en fait imbriquées les unes des autres qu’il est difficile de séparer les deux (du moins je n’y arrive pas…).

Donc, à mon avis, luttons sur les deux tableaux…

Slogan "Travailleurs de tous les pays, qui lave vos chaussettes ?"
Slogan provenant du MLF “Travailleurs de tous les pays, qui lave vos chaussettes ?”

Un définition du travail domestique

Je reprends ici la définition de Christine Delphy pour le travail ménager (si vous ne connaissez pas Christine Delphy, arrêtez tout et allez regarder le superbe documentaire « Je ne suis pas féministe, mais… » de F. et S TISSOT) : il s’agit du travail fourni gratuitement pour quelqu’un d’autre que soi dans le cadre social de la maison.

Les tâches ménagères ne sont pas forcement du travail ménager. Si je me fais une assiette de pâtes sans sel au comté (ma spécialité, miam), ce n’est pas du travail ménager. Par contre, si je fais des pâtes sans sel au comté pour ma compagnon et mon chat, c’est du travail ménager.

Travail domestique : les chiffres

Les chiffres suivants sont issus des enquêtes de l’INSEE. Seuls les couples hétérosexuels sont étudiés ici.

Et que nous disent ces chiffres ?

Et bien, que 60 % des tâches ménagères sont réalisées des femmes, soit 4h40 par jour en moyenne (oui, 32h par semaine) par les femmes contre 2h20 pour les hommes. Donc, se cache derrière du travail ménager…

Mieux, si on enlève le bricolage, jardinage, soin aux animaux et loisirs avec les enfants, les femmes réalisent plus de 70 % des tâches ménagères.
Ce n’est pas lié au fait que les hommes n’auraient pas le temps : les femmes en font toujours plus même si elles sont à temps plein et que leur compagnon est à temps partiel.

Et plus le couple a des enfants, plus l’écart se creuse :

Avec 1 enfant, une femme passe presque 4h30 par jour à réaliser les tâches ménagères (presque 2h30 pour les hommes).

Avec 3 enfants et plus, ce temps passe à quasiment 5h30 par jour pour les femmes (soit presque 38h par semaine!) alors qu’il ne change pas pour les hommes…

Bizarre, non ?

Mais, mais, ça devrait changer avec les nouvelles générations ?

Et bien, oui en partie !

En 2010, les femmes effectuaient moins de tâches ménagères qu’en 1998, soit 22 minutes de moins par jour.

Et sur la même période, les hommes en ont fait plus de… 9 minutes !

Bref, il y a encore une marge d’amélioration…

Je vais me répéter, mais cela me paraît tellement énorme : une femme en couple hétérosexuel avec plus de 3 enfants passe 38h par semaine dans le ménage domestique et parental.

Il paraît donc difficile d’avoir en plus un temps plein, d’autant plus qu’il y a un manque criant de service public de la petite enfance : seul 2 enfant sur 10 a une place en crèche (public ET privée).

Bon, un service public de crèche ne résoudra pas le problème du travail ménager, car, à un moment, les enfants rentreront bien à la maison et il faudra bien quelqu’un pour s’en occuper… et ce sont à majorité les femmes qui en sont à charge (et même après un remariage). Mais cela peut aider les femmes à travailler à temps plein et donc d’avoir un salaire plein et une retraite plus conséquente.

Enfants et carrière des femmes

Bref, ce sont les femmes qui réalisent les tâches ménagères et qui s’occupent des enfants et ce, dès la naissance : 95 % des congés parentaux sont pris par les femmes. De plus, une femme sur deux va arrêter de travailler ou diminuer leur temps de travail salarié contre un sur neuf pour les hommes. Et plus il y aura d’enfants à charge, plus les femmes auront tendance à arrêter leur travail salarié !

On s’en doute donc, l’arrivée des enfants a un impact très fort sur les carrières des femmes que ce soit en terme de salaire, mais aussi d’opportunité de travail. Après la naissance d’un enfant, le salaire d’une mère baisse entre 2 à 3 % alors que celui d’un père augmente d’environ 3 %. La différence moyenne entre les mères et les pères est de 25 % alors que celui entre femmes et hommes sans enfant est de 7 %. De plus, les mères auront tendance à travailler dans des entreprises plus à temps partiel, avec des salaires moindres et plus proches de leur domicile.

Travail domestique et personnes en situation de dépendance

Nous pourrions nous dire qu’une fois les enfants partis, le travail domestique diminue. Sauf, que c’est souvent à ce moment que se pose une autre problématique : la dépendance des personnes âgées.

La personne aidante est la «personne qui vient en aide, de manière régulière et fréquente, à titre non professionnel, pour accomplir tout ou partie des actes ou des activités de la vie quotidienne ». Bref, on est bien dans du travail domestique.

Nous nous en doutons, mais la majorité des aidants sont des femmes. Plus exactement, 57 % sont des femmes.

Pour tout dire, cela me semble assez peu et ne concorde pas avec ce que je rencontre dans la vie : la très très grosse majorité des aidants que je connais sont des femmes. Certaines d’entre elles s’occupent même des proches de leur compagnon.

J’aimerai beaucoup avoir plus de détails sur la différenciation des tâches réalisées entre les hommes et les femmes dans le cadre de l’aide de personnes dépendantes, et je suis preneuse de toutes sources sur le sujet.

Face visible de l’iceberg

Ainsi, le travail ménager réalisé par les femmes est en grande partie du travail gratuit réalisé aux bénéfices des hommes en couple.
Et cela n’est que la partie immergée de l’iceberg, car, pour réaliser ces tâches domestiques, il faut au préalable y penser et les planifier ! C’est ce que l’on appelle la charge mentale.
Ce qui est là aussi portée à bout de bras par les femmes.

A cette charge, certaines ajoutent une charge morale liée aux préoccupations écologiques : ce sont les femmes qui se chargent de fabriquer les shampoings, lessives et autres produits ménagers garantis fait maison et zéro déchet, mais aussi de gérer le «vivre sain » de leur famille.

Réconciliation vie professionnelle/vie privée : un fausse réponse

Pour résoudre cette problématique du travail domestique, beaucoup de politiques mettent l’accent sur la réconciliation entre la vie professionnelle et la vie privée.

Mais en fait, la plupart des femmes le font déjà et connaissent des doubles journées (travail/enfants) voir triples journées (travail/enfants/vie associative ou militante) avec des semaines de travail salarié ou non à plus de 70h. Une façon de concilier serait ce fameux recours au temps partiel avec son lot de salaire partiel et précarité totale.

Par contre, peu de personnes parlent de réconciliation pour les hommes. Pas de souci pour eux.

De plus, les femmes des classe supérieure peuvent avoir une autre solution : elles vont décharger une partie de ce travail domestique sur d’autres femmes qui sont elles de classe populaire, souvent racisées et mal rémunérées (promis, le prochain billet portera sur les métiers à majorité féminin).

Le problème n’est pas liée à la réconciliation vie professionnelle/vie privée. Et la solution ne devrait pas être la création de précarité. Le problème est que les hommes en couple se déchargent de leurs tâches ménagères sur leur compagne, avec le support de l’État (via les diminutions d’impôts et la distribution des aides sociales privilégiant les couples à forte différentiel de revenus).

Cela se voit dans les statistiques (oui, j’aime me plonger dans les chiffres de l’INSEE) : un homme vivant en couple sans enfant réalise 3h10 de moins de travail ménager par semaine qu’un homme vivant seul alors que le temps de travail ménager d’une femme en couple sans enfant est en moyenne 7h de plus par semaine que celui d’une femme célibataire sans enfant.

Donc, dès la mise en couple, les hommes se déchargent de leurs tâches ménagères sur leur compagne (oui, je me répète encore). Il s’agit d’un privilège masculin, celui de ne pas avoir à laver ses toilettes, pour paraphraser une militante féministe que j’ai croisée.

Et c’est ça qu’il faut changer : supprimer les privilèges masculins dans cette société patriarcale.

Un beau programme en perspective, non ?

Et un petit bonus musical : « Une sorcière comme les autres » d’Anne Sylvestre

Sources/Pour aller plus loin :