La machine est une série de deux romans de l’imaginaire écrit par Katia Lanero Zamora. En réalité, je ne sais pas dans quelle catégorie les classer, car même si l’histoire ne se déroule pas dans notre monde, aucun élément magique ou science-fictionnesque n’est présent. La maison d’édition le classe comme fantasy.
Ces romans sont de fait la transposition dans un univers inventé d’un événement important du XXe : la guerre d’Espagne, qui est une guerre civile entre les fascistes espagnoles et le camps antifasciste des républicain·nes, anarchistes et communistes.
Une fois la référence comprise, nous pourrions nous dire le livre est inintéressant, vu que la fin est tristement connue : la république espagnole et la révolution libertaire meurent écrasées sous les bottes des fascistes. Heureusement pour la lecture, il n’en ai rien car la petite histoire se mêle à la grande et il s’agit là de la grande force de ces livres.
Nous y suivons deux frères très complices : Andrès et Vian, enfants d’une famille nouvellement anoblie. Alors que le premier a un esprit frondeur et révolté, le deuxième est réservé et obéissant.Par leurs caractères et éducations différentes, leur parcours le sera aussi : Andrès rejoindra les machinistes, organisation révolutionnaire communiste, et rejettera sa famille pendant que Vian sera envoyé à l’armée pour apporter la gloire à sa famille. Ainsi, logiquement, quand le général Ovando retourne sur Panîm pour renverser la toute jeune république, les deux frères se retrouvent dans des camps ennemis.
La narration, alternant entre les points de vue des frères, nous permet de comprendre leurs choix, la plupart horrible du côté de Vian. Les relations entre les frères, mais aussi au sein des machinistes pour Andrès et au sein de l’armée pour Vian, sont finement décrites. Même si Andrès est pour moi un modèle militant, j’avoue préférer Vian, et ses contradictions : aider sa famille à monter dans la haute société à tout prix quitte à sacrifier sa vie personnelle et, surtout, participer activement à la mise en place d’un régime fasciste. Son parcours peut cependant peu réaliste : jusqu’où peut-on monter dans la hiérarchie militaire fasciste sans en être un fervent idéologue ? Malgré tout, et parce qu’il n’est pas fasciste, Vian restera longtemps dans mon cœur.
Toujours sur la construction des personnages et sans vouloir divulgâcher, j’ai trouvé que l’homosexualité d’un des personnages est très bien traitée, où l’homophobie touche la société entière et, même si le fascisme est homophobe par nature, ce dernier n’en a pas le monopole. Cette homophobie a un réel impact sur l’histoire ainsi que sur les choix et les obstacles du personnage en question. Les personnages secondaires sont tout aussi bien écrit.
Forcément, vu le sujet, le roman ne nous épargnera pas sur la guerre avec son lot de massacres (qui sont heureusement la plupart hors-champs) et son traitement des prisonnier·es tout comme elle ne cachera pas les traîtrises au sein du camp antifasciste, même si certains épisodes peu reluisant, comme les meurtres des anarchistes et membres du POUM par les stalinien·nes, sont absents – à raison pour la lecture du roman. Il s’agit après tout d’un roman et non d’une thèse et c’est à mon avis tout l’intérêt de transposer cette guerre dans un univers fictif.
Un léger bémol : la fin se résout un peu trop facilement à mon goût. Cependant, même si celle-ci est foncièrement contraire au besoin de justice et très problématique d’un point de vue antifasciste, elle permet de fermer le livre avec un peu de soulagement et d’espoir pour les personnages.
En résumé, une histoire de frères dans le cadre d’une guerre civile affrontant fascistes et antifascistes, dans une Espagne imaginaire, où j’ai dévoré les deux tomes en quelques jours, et qui m’a touché profondément.
Bref, pour moi, un coup de cœur.
Vian Cabayol ressentait toujours une pointe d’appréhension avant de frapper à la porte du bureau de son père. Même s’il était attendu – Augustina lui avait fait passer le message –, se tenir sur le seuil d’un monde qu’il lui était interdit lui donnait l’impression qu’il avait six ans de nouveau. Son regard s’arrêta sur le parquet du couloir, avisa la poignée de métal poli et ensuite la plaque cuivrée qui clamait « Duen Colin Cabayol » en lettres imposantes. Il lissa sa chemise et ses cheveux. Après une profonde inspiration, il leva un poing plus décidé qu’il ne l’aurait cru et frappa. Trois coups secs. La voix grave de son père ne se fit pas attendre.
« Entre. »
Note : cette chronique a été écrite dans le cadre de la 12e édition du « Challenge de l’Imaginaire » suivie par la blogueuse de « Tornade de lecture». Merci à elle !
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