J’ai honte de l’écrire, mais je ne connaissais pas le génocide des Tutsi avant de lire ce livre, ou du moins je ne me rappelais que les images d’enfants affamés dans mon livre d’histoire et d’un nom d’un artiste rescapé. En premier lieu, j’avais acheté ce livre pour mieux comprendre les mécanismes en œuvre dans les massacres des femmes lors des conflits, qui sont « sur-tuées » par rapport aux hommes. J’ai fermé le livre avec colère et tristesse.

Pour commencer, le titre étant évident sur ce point, mais cet essai contient des témoignages explicites de tortures sexuelles qui ont été pour moi difficiles à lire. Cependant, comme si justement relevé par une des femmes interviewées, j’ai le luxe de pouvoir choisir d’être en dehors de l’horreur alors qu’elles doivent vivre avec.

Sandrine Ricci découpe son essai en 8 parties que je vais essayer de résumer au mieux. Forcément, il y a des raccourcis, j’encourage vivement sa lecture.


Le premier chapitre après l’introduction rappelle la genèse du génocide. Voici un résumé, forcément réducteur. Les colons belges imposent une grille de lecture raciste au peuple colonisé permettant de casser l’importance de l’identité clanique pour la remplacer par une hiérarchisation des ethnies Tutsi, Hutu et Twa basées sur des critères racistes. Les Tutsi, considéré·es comme supérieurs aux autres par les colons, sont ainsi avantagé·es dans l’administration, l’école, etc. Lors des luttes décoloniales, les colons belges changent de fusils d’épaules et soutiennent les Hutu dans la lutte pour l’indépendance. Commence alors des massacres et une déshumanisation progressive des Tutsi, vu comme des êtres fourbes avides de pouvoir, des « cafards », jusqu’à la planification du génocide avec l’aide tacite des communautés internationales dont la France. L’autrice revient aussi sur des mythes liés au génocide, dont certains racistes comme le réduction du génocide à « une guerre tribale menée machette en poing » alors qu’il s’agit de crimes préparés et planifiés pour exterminer un peuple. Un rappel aussi de certaines théories négationnistes du génocide est fait, par exemple celle du « double génocide », prisé par certains de nos politiques français pour dédouaner de la responsabilité de la France.

Le deuxième chapitre revient sur la propagande déshumanisante propre aux femmes Tutsi, qui est au cœur de la propagande raciste. Elles sont à la fois diabolisées et hypersexualisées. Une propagande sexiste et raciste se déploie. Cruelle et fourbe, la femme Tutsi serait une espionne à la solde de sa « race » qui manipulerait les hommes dont ceux de la communauté internationale. L’appel à la haine contre ces femmes est une des bases à la propagande génocidaire anti-tutsi.

Le troisième chapitre, sur les violences sexuelles comme méthodes de guerre et de génocide, est plus théorique. L’autrice rappelle en quoi celles-ci sont stratégiques et organisées. Les hommes violent les femmes tutsi pour contrôler, réprimer et détruire individuellement et collectivement. Ainsi, Ricci les inscrit aussi dans le continuum des violences sexistes que connaissent les femmes en tant de paix. Elles sont à la fois arme de guerre génocidaire mais aussi féminicidaires et ont tout à voir avec l’appropriation individuelle et collective du corps des femmes, qui deviennent des champs de bataille. Leurs conditions matérielles expliquent aussi en quoi elles sont plus vulnérables que les hommes, par exemple il est difficile de fuir avec des enfants en bas âge et une mère âgée. Il s’agit d’une exacerbation des violences sexistes en tant de paix. Pour finir, l’autrice propose aussi une typologie des violences comme méthodes de guerre : au service du nettoyage ethnique et du génocide, arme de terreur et d’humiliation, pour faire fuir la population, viol-butin et enfin monnaie d’échange.

La quatrième partie, la plus éprouvante, présente les témoignages des femmes que la sociologue a interrogé. L’avant, le pendant et l’après sont décrits tout en rappelant que le récit n’est jamais linéaire et qu’un va-et-vient entre passé et présent est continu. On y voit le traitement spécifique des femmes et leur déshumanisation.

Le chapitre suivant traite de la difficulté de la reconstruction. Comment créer une société après que 800 000 personnes, hommes, femmes, enfants, aient été tuées et 500 000 femmes victimes de violences sexuelles ? Les questions de justice et de le cohabitation entre victimes et bourreaux sont brûlantes. Que faire quand des agresseurs contre qui une femme a témoigné viennent à sa porte une fois leur peine purgée ? Et comment faire mémoire pour que cela ne recommence pas ? Le travail des femmes tutsi de justice, de reconstruction et de politique est pour moi un modèle.

Enfin, le dernier chapitre revient sur les témoignages, la difficulté de dire ainsi que celle de se faire entendre. J’ai retrouvé certains retours que j’ai pu entendre de la part de femmes victimes de violences sexuelles et sexistes dans d’autres cas. Le devoir mémoriel et la lutte contre l’impunité sont aussi des aspects importants du témoignage, malgré la re-traumatisation lors des procès des génocidaires.

En conclusion, cet essai permet, en plus de reposer l’importance du dernier génocide du XXe siècle, d’étudier le génocide des Tutsi via les rapports de genre et de comprendre comment les violences sexuelles utilisées comme outil génocidaire sont en fait intégrées dans le continuum des violences contre les femmes et comment les femmes sont toujours des ennemis-femmes plutôt que des ennemis-tout-court.

Pour aller plus loin :