Il était une fois des êtres intelligents et puissants.

Ils pouvaient soulever des montagnes et courir aussi vite que le vent. Chacun avait son rôle et participait consciencieusement aux tâches pour le bien de leur peuple, changeant de castes avec l’âge, d’abord nurse puis bâtisseur et enfin, le plus prestigieux, nourricier, la caste de ceux qui bravaient l’extérieur pour trouver de quoi ravitailler toute la cité. A leur risque et péril.

Un jour, un nourricier partit plus loin que les autres. La place commençait à manquer, la nourriture se faisait de plus en plus rare. Beaucoup de leurs jeunes dépérissaient et tous avaient le cœur au bord du gouffre à la vue des petits cadavres retourner à la terre nourricière, car rien n’était perdu dans cette société. Un voile sombre semblait s’être abattu sur la cité. De nouvelles terres seraient le seul salut, notre aventurier le croyait comme seuls des êtres désespérés le peuvent.

Notre aventurier traversa le désert, grimpa des falaises, évita des bêtes sauvages, remonta des fleuves… Et enfin, il trouva  : une zone vierge et d’un vert tendre, signe de fertilité, sans aucun prédateur en vue. Le lieu parfait pour laisser paître en toute tranquillité leurs bêtes. Il eut envie de pleurer devant les feuilles qui bougeaient dans le vent. C’était si beau.

Mais au lieu de ça, il retourna sur ses pas pour rentrer chez lui, en n’oubliant pas de marquer le chemin pour permettre aux siens de trouver ce jardin d’Éden. Il imaginait déjà la joie de ses frères quand il leur annoncerait que leur survie ne dépendrait plus des champignons de galeries.

Suite à la découverte, la ville envoya leurs meilleurs agriculteurs avec leurs plus belles bêtes. Des soldats les accompagnaient, même si rien d’hostile n’avait été détecté par l’éclaireur.

La paix ne dura que quelques semaines.

Un jour, un géant démoniaque apparut dans le ciel. Il écrasa les bêtes et envoya sur eux une pluie poisseuse, qui embourbait tout, individus et bêtes. Il envoya des monstres qui suçaient la moelle du bétail. Les soldats répondirent à chaque coup, se démultipliant, offensifs et terribles, protégeant les agriculteurs de leurs corps.

Et ce fut le début d’une guerre millénaire…

Une agricultrice en pleine action : fourmi sur mon jasmin étoilé
Le bétail : pucerons sur radis
Un monstre : une larve de coccinelle (qui a été probablement tuée par les fourmis)

Dans les histoires, les méchants sont toujours les gentils de leur vie. Si mon jasmin étoilé pouvait raconter son vécu, la narration serait différente. Peut-être aurait-il dit la sensation de la sève aspirée et des pattes sur son écorce.

Je ne sais pas.

Ce texte est écrit que de mon point de vue, avec mes biais anthropomorphes. Je ne pense pas que les fourmis puissent pleurer devant la beauté des choses ni comparer quoi que que ce soit à un jardin d’Éden (du moins, rien n’est indiqué dans ce sens dans la page wikipedia « Fourmi »). Elles possèdent une intelligence collective, ce qui est très différent du fonctionnement des êtres humains.

Alors, comment tout ça s’est terminé ?

J’ai d’abord vaporisé mon jasmin de savon noir.

Puis j’ai déplacé des larves de coccinelles sur mes plantes touchées.

Puis j’ai placé des coupelles sous les pots que j’ai remplies de terre de diatomée.

Puis j’ai soupoudré mon balcon de cette terre sédimentaire.

Puis j’ai entassé du marc de café sur le passage des fourmis.

Puis j’ai collé du scotch double face sur le tuyau de goutte à goutte, qui formait une belle autoroute à insectes.

Puis j’ai craqué et j’ai sorti l’arme chimique : des appâts à fourmis rempli de fourmicide.

Ça marche, un temps.

Puis, elles reviennent.