De quoi ça parle ?

On suit Amy, une jeune fille de 11 ans, vivant avec sa mère et ses petits frères. Elle apprend que son père revient du Sénégal avec une deuxième femme dans les bagages. Témoin de la souffrance de sa mère, elle rencontre alors un groupe de danseuses « Les Mignonnes » qu’elle voudra à tout prix rejoindre.

Prenant pour modèle des danseuses plus âgées et des clips musicaux pleines des femmes objets, Amy et ses amies ajouteront de plus en plus de pas de danse sexuelle dans leurs chorégraphies, encouragées par les likes sur les réseaux sociaux.

Bande annonce de Mignonnes

Des thématiques féministes

Ce film dénonce l’hypersexualisation des filles et la pression du regard des autres, amplifié par l’utilisation des réseaux sociaux, mais aussi le tiraillement des filles entre deux modèles à laquelle sera jaugée toute femme, deux injonctions contradictoires comme sait si bien le produire le patriarcat : la vierge ou la putain (fin pas vraiment le patriarcat, mais les gens qui le composent, car le patriarcat n’est pas une entité éthérée…).

« Dans cette société occidentale, on est très doué pour voir l’oppression dans les autres culture, mais pas se regarder dans un miroir »

M. Doucouré

Mais ce film aborde plein d’autres thématiques, s’emboîtant les unes dans les autres : le fait de baigner dans plusieurs cultures, l’adolescence, le changement de corps, la polygamie, le slut-shaming, le harcèlement scolaire, etc.

Et le fait que l’héroïne ne soit ni blanche ni de classe aisée/CSP+ ne peut que faire du bien quand la quasi totalité des œuvres cinématographiques et littéraires ont pour protagoniste un homme blanc et que les rares femmes représentées qui se faufilent à travers les mailles patriarcales sont elles aussi souvent blanches et de classe aisée.

Doit-on montrer pour dénoncer ?

Cependant, une scène m’a été difficile à regarder : la danse des Mignonnes lors du concours final. Pendant de longues minutes, on peut mater des gamines mimant des actes sexuels rythmés en musique. Et en toute honnêteté, j’ai fermé les yeux en ayant envie de prendre dans mes bras ces jeunes filles, mal à l’aise devant ces corps jetés en pâture au regard masculin.

Je pense que le malaise à la vue de ces images était volontaire de la part de la réalisatrice, mais les pédocriminels, eux, ouvriront grand les yeux.

Cette question du montrer pour dénoncer m’a fait écho à plusieurs débats autour de ce thème, notamment sur la diffusion des images de l’assassinat de Georges Floyd, mais aussi à la photo iconique d’Alyan Kurdi, l’enfant syrien mort sur la plage turque, ou encore les 1200 photos de représentation racistes, dont certaines pédopornographiques accompagnant le livre «Sexe, race et colonies », dirigé par cinq personnes blanches.

Aparté : Oui, mille deux cents images racistes. Mais quel était l’intérêt, franchement ?

Comme ces questions ont été traitées des milliards de fois mieux que ce que je ne pourrais jamais rêver écrire, j’ai mis en bas du billet quelques liens vers des analyses par des collectifs et personnes militantes.

En résumé :

  • Ces images peuvent être violentes pour des personnes concernées, voire avoir pour conséquence une réminiscence de violences vécues. Ces mécanismes sont très étudiés dans le cas de violences sexuelles
  • Elles perpétuent des représentations racistes, ce qui n’est à mon avis pas le cas du film Mignonnes
  • Leur utilité est souvent contestable. Par exemple, les violences policières ne sont pas arrêtées depuis la diffusion des images de G. Floyd et il y a toujours des milliers de personnes mortes lors de leur voyage en Méditerranée sans que des gouvernements de pays riches n’aient l’air de s’émouvoir.

Bien sûr, il y a une différence de taille entre ces trois cas et le film Mignonnes.

Pour les premiers, cela concerne des images de violences (assassinats, pédopornographie, cadavres, etc.) sur des personnes ayant réellement existé. Leur humanité est niée en imposant la diffusion de ces images sans que les personnes concernées, ou leurs représentant·e·s, puissent donner leur avis.

Dans le cas du film Mignonnes, nous voyons des actrices jouant un rôle, et donc ayant (normalement) donné leur consentement. Cependant, ce sont de vrais corps de jeunes filles que nous voyons à l’écran et qui sont réduits durant ce court passage à des objets sexuels.

Je pense qu’il y aurait tout eu à gagner à mettre plus de distance avec les images vues, à décaler le regard afin de désobjectiviser les corps de ces jeunes filles. Ou encore, sous-entendre et ne pas montrer car, le plus souvent, il n’est pas nécessaire de montrer pour dénoncer.

Faut-il aller voir Mignonnes ?

Oui et re-oui !

Déjà, c’est une façon concrète de soutenir le travail d’une réalisatrice noire, bien trop sous-représentée dans le cinéma.

J’avoue avoir été un peu dubitative sur la fin, le comportement d’Amy m’a semblé erratique. A mon avis, la durée du film est en partie en cause ; une heure trente cinq est bien court par rapport aux films fleuves ou aux séries à boulivisionner offrant la possibilité de développer les personnages sur le plus long terme.

Cependant, j’ai ri quand Amy était heureuse, pleuré quand elle était triste, été en colère quand elle l’était… J’ai senti à quel point elle était attirée le souffle de liberté que lui apportait le groupe des Mignonnes, et était déchirée par les contraintes familiales et la validation via le regard masculin.

Et être émue par une histoire, n’est-ce pas ce que l’on attend d’un bon film ?

Pour aller plus loin :

  • Interview de Maimouna Doucouré dans l’émission 28’ d’Arte :
https://www.youtube.com/watch?v=TNMBni_LWXc