J’ai un aveu à faire : je suis une mauvaise militante.

Je n’arrive pas à me lever à 5 h du matin pour aller diffuser des tracts, ou participer à un blocage d’un point stratégique.

M’endormant en même temps que les poules, les réunions du soir finissant à pas d’heure me sont impossibles.

J’ai du mal à dire bonjour à ma voisine (est-ce que je ne devrais pas dire bonsoir plutôt, vu l’heure ? ), alors taper la discute, même de sujet politique et même avec une personne de la même organisation que moi, c’est une toute autre dimension. Eh oui, la sociabilité militante m’est difficile.

Au boulot, je me sens vite noyée sous la charge de travail, alors je travaille un peu les jours de grève, le matin, avant les manifestations. Des fois, je débraye juste de 11h à 14h, le temps d’aller manifester entre deux réunions que je n’ai pas réussies à décaler.

Mon niveau d’énergie fluctue, je ne suis pas toujours disponible. Je lutte certains jours pour faire des gestes simples, comme me lever du canapé. Comment alors envisager de passer une soirée à coller des affiches ou organiser un événement public ?

Je suis une mauvaise militante et je me sens coupable.

Je sais bien que la culpabilité peut être un symptôme de la dépression, et que cette dernière – ou ses traces – me limite dans mes activités. Néanmoins, cette culpabilité existe, et ce serait me mentir que de cacher ce fait. En parler me permettra peut-être d’en exorciser les effets.

Le modèle du bon militant

Ce sentiment de culpabilité vient du modèle propagé du bon militant : il se lève avant le lever du soleil, boit une tasse de café noir et part sur un piquet de grève soutenir des camarades. Puis, il imprime des centaines de tracts pour les distribuer à une sortie de métro. Pour finir sa journée, il passe à une soirée militante, et boit des coups avec des camarades en échangeant des informations sur leur organisation réciproque. Bien sûr, c’est un homme blanc entre trente et cinquante ans.

Je ne sais pas quand le bon militant est censé se reposer, ni quand il travaille, ni quand est-ce qu’il s’occupe de ses enfants (s’il en a).

En fait, si j’observe autour de moi, cette image du bon militant est relativement fausse. Déjà, c’est oublier que les militant·e·s s’appuient sur un collectif. Iels ne sont pas toutes seules dans un univers vide mais peuvent compter sur les solidarités de l’organisation à laquelle iels appartiennent.

De plus, en ayant côtoyé des supers militant·e·s, iels ont aussi des moments de mou, de doutes, de fatigue, de déprime. Iels ont de la vaisselle qui s’entassent dans le levier et jonglent comme iels le peuvent avec leurs différentes casquettes. En bref, iels ne sont pas si éloigné·e·s des mauvaises militantes, à se débrouiller pour casser les carcans des systèmes qui nous broient tout en y vivant. La différence porte surtout sur une question de jauge d’énergie, qui est plus grande pour certain·e·s que pour d’autres.

D’autres ont une compagne pour rendre leur vie militante plus facile, femme effacée par l’image du bon militant de leur compagnon. C’est plus facile de militer quand quelqu’une d’autre porte la majorité du poids du travail domestique sur les épaules. Exploiter les autres ne devrait jamais être un modèle à suivre.

Un modèle à déconstruire

Ainsi, il est nécessaire de déconstruire l’idée de la bonne ou de la mauvaise militante si nous voulons pour de vrai une implication de toustes. Plutôt qu’un modèle difficilement atteignable, promouvons la pluralité des modèles : des militant·e·s associables, des militant·e·s pas du matin, des militant·e·s avec des enfants, des militant·e·s handicapées… et luttons contre la culpabilité et le syndrome de la mauvaise militante. Sortons de l’injonction à la productivité qui pollue nos collectifs.

Ce n’est pas toujours évident, la culpabilité est difficile à nettoyer. Cependant, nous avons le droit d’être fatiguée, déprimée, mal. Juste mal. La vie est ainsi, ce n’est pas comme si nous avions le choix. Il existe tellement de façon de militer, de soutenir les luttes, de grandir avec elles, que nous y avons toutestes notre place. Cette place peut nécessiter un changement structurel au sein de nos organisations, mais aussi de revaloriser toutes les tâches militantes nécessaires et pourtant invisibles, comme le travail de secrétariat. Mais, si nous souhaitons réellement des luttes de masse, avons-nous le choix ?

Prenons soin de nous, donnons-nous en la permission, tout comme celle de ne pas être parfaite. La perfection n’existe pas, ce n’est qu’un mirage cachant des dominations que l’on ne veut pas voir.