Ma grand-mère est décédée.
Fin de l’enfance
Comme l’a dit si bien une de mes sœurs, c’est un peu de notre enfance qui est partie avec elle.
Je me rends compte à quel point cette femme a eu un impact important sur ma vie et sur celle des miens, plus que d’être la mère de ma mère.
Je me rappelle les pulls tricotés, magnifiques, avec des dessins Disney (Panpan <3) et plein d’animaux, à l’odeur que je cherche encore dans mes rares vêtements de laine.
Je me rappelle les fleurs, nombreuses, colorées, entêtées, qui faisaient face au temps gris du nord.
Je me rappelle les gâteaux au rhum et les beignets de fleur de courgettes.
Je me rappelle le jardin, labyrinthe de plantes et de serre, gorgé de fruits et de légumes.
Je me rappelle les livres d’histoires qui traînaient sur la table.
Je me rappelle les lapins et les poules.
Vie italienne
Ma grand-mère est née en 1934 en Vénétie, à une époque où le fascisme triomphait en Italie. Elle racontait son père qui interdisait à sa sœur, ses frères et elle de se déplacer quand les avions bombardiers survolaient les champs. Elle était l’aînée de la fratrie, et a dû arrêter l’école à la fin de la guerre pour aider ses parents à la ferme et à la maison.
Ma grand-mère ne savait pas écrire l’italien, et encore moins le français. Pourtant, c’était une femme curieuse et rationnelle. Elle connaissait le nom de chaque étoile et avait conclu que l’axe de rotation de la Terre changeait avec le temps en observant le lever du soleil et de la lune. Elle connaissait l’histoire de Louis XIV sur les bouts des doigts. Elle fertilisait ses plants de tomate au pinceau quand les insectes étaient trop peu nombreux.
Ma grand-mère s’est mariée à mon grand-père en 1956. Elle l’avait rencontré plus tôt alors qu’elle vendait des paires de chaussettes au marché. Iels ont eu une petite fille, et mon grand-père est parti en France tenter sa chance.
Ma grand-mère est restée seule en Italie pendant un an ou deux ans avec un bébé. Je ne sais pas comment elle a vécu toute cette période, et celle qui suit. J’aurai tant aimé en discuter avec elle. Ce que j’ai compris, par bribe lâchée par-ci par-là par mon grand-père, c’est que ma grand-mère a eu du mal à joindre les deux bouts et a dû demander de l’aide à sa belle-sœur. Qui lui a refusé.
« Je pardonne car ma religieuse m’y oblige, mais je n’oublie pas », répétait-elle à ma mère.
Oui, ma grand-mère était chrétienne, ce que je ne savais pas. Elle disait ses bénédictions tous les soirs avant de se coucher. Elle a eu le droit à un enterrement chrétien. Encens, discours hypocrite, décors magnifique et quête ostentatoire.
Immigration en France
Ma grand-mère est ensuite partie rejoindre mon grand-père en France, une petite fille de moins de deux ans sous le bras. Iels logeaient au début dans un hôtel pour jeunes travailleurs où il était interdit de rester dans les chambres la journée. Ainsi, ma grand-mère sortait avec la petite et se promenait dans Paris toute la journée car elle n’avait d’autres choix. Elle a allaité sur les bancs des parcs publics. Puis iels ont déménagé dans un appartement – je ne sais pas quelle année – et ont eu un fils puis une deuxième fille puis une autre (ma mère). C’est d’ailleurs à la maternité qu’elle a appris à faire le couscous auprès d’une de ses voisines, un des meilleurs couscous au monde.
Ma grand-mère a d’abord travaillé en tant que domestique dans une famille de haute bourgeoisie, avec les horaires décalés qui vont avec. Mais comme mon grand-père n’arrivait pas à s’occuper des quatre enfants (ou ne voulait pas, #PayeTonTravailMénager), elle a quitté ce boulot pour devenir couturière à domicile.
Petite main dans le luxe
Ma grand-mère était une de ces mains avec de l’or entre les doigts qui travaillaient pour le luxe. Elle pouvait coudre un modèle juste en l’ayant vu. L’œuvre qui la remplissait le plus de fierté était la robe de mariée de Sheila, elle en parlait encore à la fin plein d’étoiles dans les yeux. Cette dernière n’a remercié que la patronne de ma grand-mère, qu’a-t-on à faire d’une petite main, immigrée de surcroît ?
Mes grands-parents ont déménagé à plusieurs reprises et ont fini par quitter l’île de France pour leur maison de week-end située dans l’Oise.
Libre jardin
Ma grand-mère a investi son énergie dans son jardin. Elle est la première du village à avoir réussi à faire pousser des tomates (peut-être sa deuxième plus grande fierté) et a su faire mûrir figues et raisins, allez savoir comment dans ce coin de Picardie peu propice aux fruits gorgés de soleil.
Ma grand-mère a continué son bout de chemin chez elle puis, toute à la fin, en maison de retraite où, malgré (ou grâce ?) à ses divagations, elle a recréé son monde, entourée d’amies toutes autant dans leur monde.
Elle me manque.
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