Comme les années précédentes, j’ai griffonné dans mon petit carnet noir le titre de chaque livre que j’ai terminé en 2024. En plein milieu de l’année, j’ai assoupli mes critères pour ajouter les auteurices LGBTI+ qui s’identifient comme tel·le dans mes critères de sélection. Bien sûr, restreindre le plus possible aux femmes et LGBTI+ ne garantit pas la qualité d’un livre, j’en ai commencé des pas terribles voire pire, mais, à chaque fois que j’ai ouvert un roman d’homme en pensant qu’il s’agissait d’une femme, je suis tombée sur une représentation sexiste et objectivisante. Donc, aucun regret.
Cette année, la moisson a été plus faible que les précédentes : 122 livres au lieu de 165 en 2023 et 142 en 2022. Le nombre risque encore de baisser en 2025 car je vais essayer de ne plus lire le matin pour suivre des conseils de bonnes pratiques d’hygiène de vie.

Parmi les auteurices, la proportion de femmes est plus importante que l’année dernière 74 % contre 62 %. La proportion est similaire pour les romans et les essais, mais a beaucoup augmenté pour les BDs, passant de 55 % à 76 % pour lesquelles j’ai essayé d’être un peu plus regardante que les autres années. A vue de nez, hors mangakas, les autrices restent trèèèèèès blanches, ce qui a pour implication un traitement moindre du racisme ou du (post-)-colonialisme, ou juste une présence faible d’autres cultures occidentales que blanches occidentales. J’essayerai d’être plus attentive cette année et j’ai déjà quelques idées par où commencer.

Les œuvres de l’Imaginaire restent en tête des lectures mais sont drastiquement moins nombreuses que l’année précédente, avec 68 % pour les romans lus en 2024 contre 83 % en 2023.
Concernant les personnages : beaucoup de femmes et un peu moins d’hétéros et blanc·hes cette année, c’est chouette de lire plus de vécus différents.
Les essais sont surtout féministes, puis historiques et antiracistes. Rien sur l’anarchisme ou l’écologie ou encore le validisme. Pour cette dernière catégorie, j’ai surtout lu des articles de blog et des zines sur Infokiosques ou feu Zinzinzine, mais je ne les ai pas compté.

Pour 2025, je continuerai d’augmenter le nombre d’autrices lues, notamment dans les essais, car, même si moins de femmes sont mises en avant pour les essais autres que féministes, le savoir n’est pas l’apanage du masculin et de la même façon, le savoir et l’écriture n’est pas non plus l’apanage d’occidentales.
Mes coups de cœur parmi les coups de cœur
Romans/nouvelles
Il m’a été difficile de faire le top car beaucoup trop de romans m’ont touché. Pour jouer le jeu, j’ai fini par me décider pour trois.
Tant que fleuriront les citronniers de Zoulfa Katouh
Ce roman porte sur un sujet très actuel : la révolution syrienne. L’histoire se passe en 2012/2013 et on y suit Salama, étudiante en pharmacologie propulsée médecin hospitalière par manque de personnel. Elle cherche à fuir le pays pour aider sa belle-sœur enceinte, qui est la seule survivante de sa famille. Prise avec sa culpabilité de vouloir partir en laissant la révolution et les syrien·nes derrière elle, elle rencontrera un jeune révolutionnaire qui, lui, a décidé de rester pour documenter la révolution.
Comme on s’y attend, le livre est très dur. Salama a perdu quasiment toute sa famille et travaille dans un hôpital sans moyen où malades et révolutionnaires blessé·es affluent sans arrêt. Et meurent. La peur des bombes et de l’armée d’Assad est omniprésente, la culpabilité aussi, avec un pointe de folie pour saupoudrer le tout. Heureusement, tout n’est pas sombre, l’histoire d’amour (on s’y attend donc ce n’est pas du spoil ;p) permet d’adoucir le tout et la relation sororale avec sa belle-sœur est très belle.
L’écriture est prenante et j’ai eu du mal à lâcher le livre.
Une réelle pépite.
Les flibustiers de la mer chimique de Marguerite Imbert
Dans un tout autre registre, ce roman de SF se passe sur une Terre polluée où les océans et les mers sont acidifiées et plus ou moins mortelles. Les humains ont été décimé·es par les catastrophes écologiques et guerres et survivent plus ou moins bien.
La narration suit deux personnages, de façon alternée : Alba et Ismaël.
Alba est une graffeuse, véritable bibliothèque vivante, qui est omnisciente – à quelques erreurs près. Victime d’une attaque éclaire, elle est enlevée par un commando de soldats religieux qui sont venus pour une raison : la ramener au centre du nouveau pouvoir, Rome, pour devenir la mémoire des humains. On pourrait imaginer qu’elle serait une de ces personnages badass qui se sacrifient pour sauver des vies mais on déchantera assez vite. Cette jeune femme qui n’a presque pas pied avec la réalité, est juste insupportable, complètement égo-centrée, à se penser supérieure aux autres et n’a vraiment aucun remord. J’ai juste adoré ce personnage.
Ismaël est un ancien chercheur en biologie. Il a intégré le sous-marin (les flibustiers du titre) pour, on le devine assez vite, une mission secrète pour la Métareine. Au début, j’y ai vu un personnage paumé qui n’arrive pas vraiment à faire cœur avec sa mission et vivant dans la nostalgie de son ancienne amante. En fait, ce personnage est détestable – mais vraiment – et pose la question de la lâcheté visant des actes terribles pour garder son confort matériel et psychologique.
L’univers est super bien travaillé, tout comme les personnes et leurs relations. L’écriture, à la première personne, rend bien la personnalité des narrateurices et le livre se lit d’une traite.
Peut-être le seul point qui m’a posé problème est la chronologie de l’histoire, l’effondrement du monde m’a semblé trop proche par rapport à l’époque de l’hisoire, mais c’est un détail.
Bref, je conseille.
La machine par Katia Lanero Zamora
J’en ai déjà parlé ailleurs : la Machine est une série de deux tomes écrite adaptant la guerre d’Espagne dans un univers fictif. Ma chronique se trouve ici : Challenge de l’Imaginaire – La machine de Katia Lanero Zamora
Bandes dessinées
Clémence en colère de Mirion Malle
« Clémence en colère » est le dernier ouvrage de Mirion Malle, une autrice de bande dessinée que j’apprécie énormément. On y suit Clémence, donc, qui avance comme elle peut avec sa colère. Tout D’abord, dévorante, elle va peu à peu apprendre à l’apprivoiser grâce à un groupe de paroles de femmes victimes de violences, ses amies et son amoureuse. Le collectif lui permet peu à peu de se reconstruire et de transformer cette colère-incendie en colère-lance-flammes.
Les dessins colorés sont proches des personnes et des émotions, l’écriture est fine et juste.
C’est une lecture intimiste, sororale et puissante, qui donne envie de rejoindre des collectifs et des luttes radicales et joyeuses.
Ce livre peut être vu comme un prolongement des deux tomes précédents de l’autrice : « C’est comme ça que je disparais » et « Adieu Triste Amour », qui sont aussi des lectures très intimistes, sororales et puissantes.
C’est mon gros coup de cœur de bande-dessinées.
Frieren de Kanehito Yamada et dessiné par Tsukasa Abe
Frieren est une série de manga (toujours en cours) scénarisée par Kanehito Yamada et dessinée par Tsukasa Abe. Cent années après avoir vaincu le roi des démons avec son équipe d’acolytes, Frieren, l’elfe qui donne son nom à la série, refait le voyage accompagnée par son apprentie et celui d’un de ses anciens amis. Elle souhaite mieux comprendre les humains, elleux qui sont si éphémères. Leur route est bien sûr parsemée d’embûches, des démons encore vivants mais aussi de tracas quotidiens. Certaines pages de flash-back permettent de montrer l’évolution de Frieren et participent à cette ambiance mélancolique qui traversent tout les tomes.
J’aime beaucoup nos trois personnages principales et toute la galaxie que notre équipe va croiser plus ou moins longtemps. Les dessins sont très beaux et les combats bien menés, même s’il peut y avoir quelques longueurs. L’humour est aussi là, souvent lié au caractère tête en l’air de Frieren.
Une belle série, teintée de mélancolie et d’humour.
Nightwing Infinite de Tom Taylor et Bruno Redondo
Nightwing est l’exception qui confirme la règle : un comic scénarisé et dessiné par des hommes (réciproquement Tom Taylor et Bruno Redondo). Pourtant, nulle femme objectivisée dans cette série. On y suit Dick Grayson/Nigtwing et ex-Robin émancipé de Bruce Wayne/Batman. Installé fraîchement à Blüdhaven, il lutte, avec Batgirl, contre des méchants mafieux et/ou avec des super-pouvoirs, dont par exemple l’homme sans cœur ou bien l’homme qui aurait tué ses parents.
Il s’agit d’un personnage très joyeux, le contraire de Batman. L’histoire est sympa, avec des enjeux, et en plus, il y a Batgirl. Un gros point fort est la mise en page, très travaillée, que je n’ai pas l’habitude de voir dans des BDs.
En résumé, un comic dans l’univers DC qui est coloré et positif, comme Robin, avec des histoires qui fonctionnent, des personnages que j’aime, et des couleurs et une mise en page dynamiques.
Essais
Femmes, Vie, liberté de Chowra Makaremi
Ce livre m’a fait rentré de plein pied dans la révolution iranienne de 2022. Chowra Makaremi y tient un journal de suivi semaine par semaine de la révolution. Chaque chapitre, indépendant, permet de creuser un de ses aspects : le rapport au voile, le rôle des syndicats, la xénophobie, les luttes LGBTIs, les révoltes précédentes et la révolution de 1979… mais aussi des choses plus intimes comme l’intégration de frontières comportementales et mouvantes à ne pas dépasser en vivant dans une dictature.
Cet essai a été pour moi une révélation sur l’existence de révolutions actuelles, maintenant et non dans un futur lointain et inaccessible, hors du cadre occidentalisé et loin de mes préjugés. Il m’a aussi permis de questionner l’impérialisme de mon pays et l’importance de l’internationalisme, la force des peuples qui luttent et mes cadres d’analyses révolutionnaires.
Il est de plus facile à lire et une très bonne entrée pour comprendre ce qui se passe en Iran.
En finir avec les violences sexistes et sexuelles de Caroline De Haas
Ce livre est un manuel pratique sur comment lutter contre les violences sexistes et sexuelles : rappel de chiffres et de loi, mécanismes des violences, que dire à une victime, etc. C’est concret et facile à lire.
Bien sûr, sans lutter contre l’oppression et l’exploitation des femmes par les hommes, les violences sexistes et sexuelles continueront car à la fois ces violences sont des outils pour la perpétuation de l’exploitation et l’oppression mais aussi se nourrissent d’elles. Mais ce livre permet d’avoir des clefs concrètes pour d’une part se rendre compte de l’énorme prévalence des violences et d’autre part d’avoir des outils de compréhension et d’actions immédiates.
Bref, un très bon livre de pédagogie.
Vies rebelles de Saidiya Hartman
Ce livre parle de la petite histoire, celles de femmes et minorités de genre noires qui dérangent en vivant leur vie la plus librement possible hors des cadres autorisés et imposés par le sexisme et le racisme et les conditions matérielles misérables. Des personnes qui veulent aimer, danser, vivre en faisant fi de la misère et de la bien-pensance bourgeoise et/ou blanche. Des femmes pauvres, noires, qui ne rentre pas dans le carcan imposé. Des femmes dangereuses.
Saidiya Hartman se base sur de nombreuses archives pour raconter l’histoire de ces femmes et ces personnes de minorités de genre afro-américaines et montrer toute leur radicalité joyeuse. Des histoires intimes et puissantes, portées par une très belle écriture.
A part
Kate Millet de Marie-Hélène Dumas
Kate Millet est une militante féministe du Women’s lib (l’équivalent du Mouvement de Libération des Femmes en métropole française). C’est une militante de tous les combats : Women’ Lib, donc, en ayant été un grand soutien aux lesbiennes au sein du mouvement, mais aussi création de lieux non-mixtes pour les créatrices, soutien aux prisonnières et prisonniers politiques et, c’est moins connu, anti-psychiatrie. D’ailleurs, son livre sur son expérience hospitalo-carcérale n’est pas traduit en français et j’espère très fortement qu’il le soit un jour.
L’autrice arrive à rendre vivante Kate Millet, son cheminement, ses choix, ses questionnements et ses doutes. Une fois la biographie finie, j’ai directement relu Quatuor sur la prostitution (tous les questionnements actuels sur la prostitution/travail du sexe étaient déjà là) et j’ai retrouvé la Kate Millet décrite de la biographie. J’ai déjà repéré quels autres textes (dont sur l’Iran) que j’ai envie de me procurer quand ma pile à lire diminuera…
Conclusion
Je finis encore cette année par remercier les bibliothèques qui font un sacré travail. La plupart des livres que j’ai lu ont été emprunté dans celle de mon quartier, ce qui m’a permis d’énormément lire malgré ma période de chômage. Les abonnements me semblent abordables et permettent, à Lyon du moins, l’accès à une pléthore d’autres services comme un accès à la presse en ligne ou une médiathèque en ligne qui propose beaucoup de films récents.
Ainsi, pour finir : que vivent les bibliothèques !
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