Le débat est houleux et l’encre est encore fraîche sur les écrans.
Les femmes trans sont-elles ou non des femmes ?
Vu de loin, le débat semble sortir de nulle part et être à mille lieux des préoccupations actuelles mais il s’agit d’une division qui couve depuis des nombreuses années et qui explose maintenant en France. Une tribune et sa réponse ont mis le feu aux réseaux sociaux.
La première « Trans : suffit-il de s’autoproclamer femme pour pouvoir exiger d’être considéré comme telle ? » a été dé-publiée du Huffington post pour « transphobie » et republié sur Mariane (Marianne, ce grand journal féministe…)
La deuxième « Le débat sur la place des femmes trans n’a pas lieu d’être » a été publiée sur Libération.
Check News résume le débat ici : « Pourquoi le Huffpost a-til dépublié une tribune sur les femmes trans ? ».
Ça faisait longtemps que je souhaitais mettre à plat ces questions qui agitent les mouvements féministes. Je publie mes réflexions que j’espère pourront être utiles à d’autres pour comprendre la controverse.
Un premier article pose les définitions, car c’est important de sortir de l’équivoque des mots.
Un deuxième reviendra sur la première tribune et certains de leurs arguments.
Un troisième reviendra sur les inquiétudes de certaines féministes radicales vis à vis du mouvement queer/trans.
Donc maintenant, un peu de définitions
Rappel des différents mouvements féministes
Les autrices de ces tribunes ne parlent pas du néant, et leurs discours s’inscrivent dans des différents mouvements féministes. Donc, voici un rapide tour de ces mouvements :
- Féminisme essentialiste : Considère que les hommes et les femmes sont différentes par nature et complémentaires et qu’il s’agit d’une différence essentielle à notre humanité. En résumé, les hommes sont naturellement forts, et les femmes sont naturellement douces… Antoinette Fouques est une des représentantes de ce mouvement
- Féministe radical : à la base, considère que les différences entre les hommes et les femmes sont construites par la société et qu’il s’agit d’un fait politique et non naturel. Maintenant, on associe plus souvent ce terme à une branche de ce mouvement (oui oui c’est compliqué ;)) qui va mettre un accent particulier sur les rapports de pouvoir au sein de la sexualité et sur l’exploitation des corps des femmes. Andrea Dworkin est une des représentantes les plus célèbres (si vous ne connaissez pas Andrea Dworkin, stoppez tout et aller lire « Je veux une trêve de durant laquelle il n’y aura pas de viol 24h »)
- Féminisme matérialiste : mouvement issu du féminisme radical cherchant à analyser les rapports de pouvoir entre les classes « hommes » et « femmes ». Christine Delphy est une de ces représentantes (bon, là aussi, on arrête tout, et on va voir l’excellent document « Je ne suis pas féministe mais… » de Florence et Sylvie Tissot)
- Féministe queer : mouvement issu du féminisme radical axant leur analyse sur les identités individuelles et la remise en question des normes hétéro-sexuelles.
Il existe bien sûr plein d’autres mouvements féministes : féminisme intersectionnel, afro-féminisme, écoféminisme, féminisme marxisme, féminisme libéral, anarcho-féminisme, etc. J’ai défini ceux qui me semblaient le plus pertinent pour notre discussion.
Des définitions
Genre
Rapport entre deux catégories construites ensemble, en opposition et en hiérarchisation : la catégorie « femmes » et la catégorie « hommes » :
- Deux catégories construites : c’est le fameux « On ne naît pas femme, on le devient » de Simone de Beauvoir (qui pourrait être modifié en « On ne naît ni femme ni homme, on le devient »)
- Ensemble : le féminin ne se pense pas sans le masculin et le masculin ne se pense pas sans le féminin. L’un est construit par rapport à l’autre et inversement.
- En opposition : les valeurs/normes associées au masculin sont opposés à ceux du féminin. Par exemple, de nos jours et en Occident : Rose/bleu, froid/chaud, actif/passif, fort/faible, dur/mou…
- En hiérarchie : c’est le fameux « le masculin l’emporte sur le féminin »
Et le sexe dans tous ça ?
Et maintenant, on va complexifier le tout…
Par sexe, j’entends sexe biologique.
Souvent, on considère le sexe comme binaire avec d’un côté le sexe femelle et le sexe mâle de l’autre. Pour cela on va se baser en majorité sur :
- L’aspect extérieur des organes génitaux (en caricaturant vulve+clitoris vs pénis+couilles)
- Les chromosomes (chromosomes sexuels XX vs chromosomes sexuels XY)
- Les hormones (en caricaturant, taux d’œstrogène vs taux d’androgènes)
Or, il existe une infini de nuances entre ces caractéristiques : des hommes avec un taux d’œstrogène équivalent en moyenne à celui d’une femme enceinte, des femmes avec des taux d’androgène plus élevés que beaucoup d’hommes, des personnes à vulve avec des chromosomes XY, etc.
En fait, il pourrait y avoir jusqu’à 2 % de personnes intersexuées, c’est-à-dire de personnes « avec des caractères sexuels qui ne correspondent pas aux définitions traditionnelles du sexe masculin ou du sexe féminin » (prenant en compte l’aspect extérieur des organes génitaux, les chromosomes, les hormones…).
Ce que cela signifie, c’est que la dualité du sexe est créée par le genre…
De plus, le sexe est un marqueur pour le genre, c’est à dire que l’on va assigner une personne à la classe « femme » ou « homme » en fonction de son sexe, quitte à mutiler les organes génitaux des bébés et enfants qui n’auraient pas un sexe dans la « norme ».
Bref, le sexe est intiment lié au genre comme le genre est intimement lié au sexe.
Et encore des définitions
Et d’autres définitions pour finir :
- Queer : Terme générique désignant une personne non hétérosexuelle ou ne s’identifiant pas comme femme ou homme. Le terme queer est en fait un terme parapluie pouvant selon les personnes recouvrir les personnes LGBTI+ (Lesbien gay Bi Trans Intersexes et plus) mais aussi les amateurices de fétichisme, de BDSM, les personnes pro-prostitutions, pro-pornographiques,etc.
- Trans : personne s’identifiant dans la catégorie de genre différente de celle dans laquelle elle a été assignée à la naissance.
D’où je parle ?
Vu la définition que j’ai donnée de femme/homme, on aura deviné que je m’inscris dans le féminisme matérialiste. J’ai aussi beaucoup d’affinité avec le mouvement radical (dans le sens deuxième du terme). De plus, je considère que les rapports de genre, de classe et de race, mais aussi que les questions écologiques s’entre-nourrissent les unes des autres.
Je suis aussi ce que l’on appelle une « femme cis », c’est à dire que j’ai été assignée femme à la naissance et que je me définis en tant que femme.
Dans mon cas, je ne me base pas sur un ressenti car je n’ai strictement aucune idée de ce que ça peut être de se ressentir en tant que femme, mais sur un choix politique : le terme « femme » me permet de comprendre la déshumanisation, la dévalorisation constante et les agressions sexuelles dont j’ai pu, je peux et je pourrais être victime, et une grande partie de la haine de moi-même que je traîne depuis l’adolescence. Merci le patriarcat et les hommes qui me rappellent constamment que je suis une femme.
C’est aussi une manière de me solidariser avec les personnes vivant des situations similaires (malgré les parcours de vie propres), mes sœurs politiques.
De vieux antagonistes
En gros, la division sur la question trans recouvre la question abolitionnisme de la prostitution :
- Féministes radicales abolitionnistes de la prostitution considérant que payer pour obtenir un rapport sexuel, c’est imposer ce rapport et donc c’est un viol, et très critiques, voire virulentes et insultantes, sur la question trans
- Féministes queer pro-prostitution pour qui le fait de se prostituer est un choix, qui soutiennent les mouvements trans et peuvent être virulentes voire violentes physiquement comme l’a montré l’agression de Julie Bindel ou les nombreuses menaces de mort – et de viol – contre leurs contradictrices
Notes : quelqu’un-e pourrait m’expliquer comment des femmes se disant féministes et participant à une campagne contre les meurtres de femmes peuvent appeler à tuer d’autres femmes à cause de différends politiques ?
C’est bien sûr assez caricaturales, car des féministes radicales et abolitionnistes de la prostitution comme Andrea Dworkin (<3) ou Catharine MacKinnon ont toujours soutenu les femmes trans.
Bref, cette question recoupe de vieux antagonistes et cache des questions théoriques aux réponses complexes : quel est notre objectif et comment l’atteindre ?
Pour aller plus loin
- Sur le genre :
- Blog « ça fait genre ! » https://cafaitgenre.org
- Article « Genre : état des lieux, Entretien avec Laure Bereni » par Mathieu Trachman
- Sur le sexe :
- « Le sexe est-il du genre ? » par Noémie Marignier
- « Variations du développement sexuel : lever un tabou, lutter contre la stigmatisation et les exclusions », Rapport d’information n° 441 (2016-2017) de M. BLONDIN et C. BOUCHOUX, fait au nom de la délégation aux droits des femmes du Sénat
- Campagne sur les droits des enfants intersexes du haut-comissariat des droits humains de l’ONU
- Féministes radicales et inclusions des femmes trans :
- Inclusion radicale sur le site du collectif Transgrrrls
1 Pingback