Attention : une scène de sexe, où un des protagonistes outrepasse les limites d’une autre, est décrite dans ce chapitre.

Naël sortit de la salle de bain dans un nuage de vapeur, une simple serviette autour des hanches. Il s’était amusé à tester tous les flacons posés sur le rebord du bain et une odeur de fleurs et de sucre le suivait. Il avait oublié ses affaires propres dans la chambre, mais Yuka, partageant sur le navire la même cabine qu’un homme, ne devrait pas s’offusquer de sa petite tenue. Si c’était le cas, la situation ne pourrait être que drôle.

Yuka avait déposé la voilette et les faux cheveux. Elle était attablée à la fenêtre, regard dans le vide et cigarette en main. Elle ne semblait pas l’avoir remarqué. La lumière du soir couchant l’enveloppait d’une aura douce. Naël s’appuya contre le mur pour l’observer. Il l’avait de suite trouvé désirable dans sa nouvelle tenue qui lui épousait la taille et avait lutté tout le trajet pour ne pas appesantir son regard sur la silhouette de sa compagne. Il voulait profiter de tout son soûl de ce moment, volant un morceau d’intimité avant de se cogner de nouveau contre l’âpreté de la sorcière.

L’absence de bruit l’a fit enfin sortir de ses pensées. Elle tourna vivement la tête de son coté. Il sentit le regard de la jeune femme lui balayer le corps, glissant le long des jambes puis sur son ventre, remontant les cicatrices jusqu’à son torse. Elle finit par lever les yeux dans lesquels Naël reconnut la lueur de désir qui y brillait. Elle détourna son regard pour se concentrer sur la fumée de sa cigarette.

Oh, plus prude qu’il le pensait. Ou plus de contrôle.

— Jolies cicatrices, avança-t-elle à sa cigarette du bout des lèvres.

Joueur, Naël avança dans sa direction en roulant des hanches :

— Merci, c’est le souvenir d’un cyborg.

Il arriva à sa hauteur et lui vola la cigarette des mains qu’il glissa dans sa propre bouche. Des cheveux rebelles frisottaient au-dessus de la nuque sur laquelle il avait tant voulu poser ses lèvres. Il prit une bouffée avant d’écraser le petit cylindre dans le cendrier posé sur la table. Naël se releva, déçu, mais il avait appris à reconnaître une défaite. Tant pis pour lui, il y avait cru. Il fit un mouvement pour s’éloigner, quand elle lui attrapa le bras d’un geste leste. Naël se tourna vers elle en penchant la tête pour la regarder. Il oubliait à chaque fois qu’elle était si petite. Elle passa la main derrière sa nuque pour l’attirer vers elle et posa ses lèvres contre les siennes.

— Ce n’est pas une bonne idée, Naël, murmura-t-elle en décollant son visage.

— Je sais, répondit-il sur le même ton.

Ils s’embrassèrent de nouveau, collés l’un contre l’autre. Il sentit les seins de la jeune femme pointer contre son torse. Elle passa les mains dans son dos et fit tomber la serviette qui tenait encore il ne savait par quel miracle. Il la plaqua contre la table pendant qu’elle enroula une jambe autour de ses reins. Les doigts experts de la sorcière jouèrent habilement sur sa peau sensible. Une onde de volupté le traversa de part en part et un gémissement de plaisir lui échappa. Un petit sourire déçu s’afficha sur le visage de la jeune femme. Oh, non, pas si vite, ma sorcière, je ne m’avoue pas vaincu aussi facilement.

Naël glissa alors la main le long de sa jambe et un soupir d’aise s’échappa de la bouche de la belle quand, après avoir écarté délicatement le sous-vêtement, il atteignit son intimité humide.

Il ouvrit la fermeture magnétique de la robe, bénissant l’inventeur de ce bijou technologique qui avait dû faciliter la vie de tellement de monde. Yuka poussa d’un pied ses vêtements, libérant de toute entrave le corps nu tant désiré. Il embrassa le mamelon qui durcit dans sa bouche et la sentit se cambrer de plaisir à chaque coup de langue et chaque caresse de son doigt. Il descendit sa bouche le long du ventre musclé qui ondulait doucement sous ses lèvres avant de se noyer entre les jambes de la belle. Seul le bruissement de leur corps l’un contre l’autre et les gémissements de l’ancienne rebelle dérangeaient le calme de la chambre.

Il eut soudainement envie d’être en elle et de la faire gémir à coup de reins. Il la souleva pour l’allonger sur le lit, attrapant au passage le préservatif en spray rangé dans le tiroir de la table. Il entra en elle et commença à bouger, visage enfoui dans son cou, mains dans le creux de son dos. Il se noyait dans son odeur, dans sa peau, dans son corps. Moment d’infinité à portée de mains et de sexe.

— Doucement, Naël, tu me fais mal…

Des vagues de volupté l’envahissaient et il accéléra pour suivre le rythme de la marée de plaisir qui l’assaillait. Un choc soudain et il mit quelques secondes à saisir que Yuka lui hurlait dessus :

— Je t’ai dit de ralentir, Kalozka !

Plus que la douleur de son dos, témoin de sa rencontre violente avec le sol, ce fût l’air mi-effrayé mi-haineux de la jeune femme qui le sortit de la transe dans laquelle il était plongé. Il n’eut pas le temps de se relever que celle-ci avait attrapé ses vêtements d’un mouvement rapide et s’était enfermée dans la salle de bain.

Mais, pour qui elle se prenait de rompre un moment pareil ? Une lesbienne qui ne devait pas apprécier les hommes comme il se devait. Aucune femme ne s’était jamais plainte de son savoir-faire. Elle devait bien être frigide pour ne pas l’apprécier à sa juste valeur. Naël tambourina de son poing la porte fermée :

— Yuka, ouvre-moi, il faut qu’on parle…

Seul l’écoulement de l’eau dans la baignoire lui répondit. Naël s’assit sur le lit en enfouissant sa tête dans les mains. La colère le quitta en même temps que la tension qui emplissait son corps. Elle fut remplacée par la honte.

Honte d’avoir perdu le contrôle. Un soldat ne doit jamais être une marionnette de la vie, de son corps ou de ses sentiments, criait son sergent-chef, paix à son âme.

Honte d’avoir fait mal à sa partenaire sans le voir. Avait-il fait la même chose aux autres femmes avec qui il avait partagé sa couche ? Auraient-elles osé comme l’ancienne rebelle lui renvoyer un reflet peu flatteur de lui-même ?

Honte d’avoir tout foutu en l’air la veille d’une mission cruciale et de voir la Terre lui filer entre les doigts. Artur lui aurait bien fait la morale et il aurait eu raison. Elle ne voudrait plus le voir, si elle ne le castrait pas avant. Tout ça parce qu’il n’avait pas su contrôler sa bite comme un crétin d’adolescent.

Honte d’avoir encore envie de sa bouche, de ses cheveux, de ses mains, de son sexe, de sa nuque, de son dos, de ses gémissements, de ses fesses, de ses seins, de son odeur. D’elle.

Naël s’allongea en chien de fusil sur le bord du lit et se concentra sur le plan du bâtiment que lui avait fourni le hacker, les couloirs, les fenêtres, les potentiels sorties de secours. Il traça dans sa tête les différents chemins de fuite possible. Tout plutôt que de penser à ce qui se passera quand l’ancienne rebelle sortira de la salle d’eau.

Les minutes devinrent des heures avant qu’il n’entendit la porte s’ouvrir et de légers bruits de pas sur le sol. Il ne bougea plus, obligeant son cœur qui s’emballait à ralentir. Il la sentit s’allonger à côté. Naël pouvait l’imaginer lui tournant le dos. Quelle expression avait-elle ? Il revit son visage de peur et de haine mêlées. Il aurait été heureux, il y a quelques mois, de savoir qu’il pouvait lui inspirer de tels sentiments. La crainte était une technique peut-être précaire mais utile pour imposer le respect. Pourtant, à cet instant, il aurait aimé ne jamais voir une telle émotion peinte sur le visage de l’ancienne rebelle. La respiration de cette dernière avait ralenti et il l’écouta, souffle tranquille dans le silence de la pièce.

Naël avait dû s’assoupir car un cri étouffé le sortit du monde des songes. Aux halètements d’angoisse qu’il entendait, il comprit qu’un cauchemar avait dû la réveiller. Ça faisait longtemps que lui-même n’en faisait plus. Quelques secondes s’égrenèrent qu’il laissa couler, immobile. Un bras entoura sa taille. Il ne bougea pas et attendit que Yuka, dont la respiration se calmait, se rendormit. Il tomba enfin dans les bras de Morphée, la main chaude de la jeune femme sur son ventre.

***

Un léger coup sur la porte réveilla Azza. Trop tôt, estima-t-elle. Elle colla son visage contre la nuque d’Aurore. Un autre coup retentit. Une légère odeur musquée lui chatouilla les yeux. Azza ouvrit les yeux, horrifiée. Elle dégagea son bras coincé sous le capitaine et roula sur le côté. Un autre coup retentit. Elle se leva pour ouvrir et se retrouva nez-à-pince avec un plateau-robot apportant un petit-déjeuner pour deux personnes. Elle intima au plateau de la suivre.

— Je suis désolé, Yuka.

— Ne dis plus rien, Kalozka, répondit-elle d’un ton sans appel au dos tourné.

Le capitaine se tut. Tant mieux, Azza serait moins tentée de tout bazarder. Tout brûler, la ville morte, les soldats, l’homme désiré, les petites lâchetés et les grandes confessions, la confiance brisée, la recherche vaine de la traîtresse. Tout brûler, jusqu’aux cendres. Sauf que ce n’était pas que son histoire. La mémoire de ses sœurs pesait sur ses épaules. Ne pas perdre de vue son objectif. La traîtresse, juste la traîtresse. Peu importait le reste, la douleur passagère, le mal-être qui l’enveloppait et le désir toujours enfoui au fond du ventre.

Le plateau s’arrêta devant la petite table. Azza prit un fruit juteux dont elle ne connaissant pas le nom. Trop sucré pour elle. Les mots sortirent d’eux-même, comme animés de leur propre vie :

— De plus, je m’en fiche de tes excuses. Désolé de quoi ? D’avoir oublié que la femme qui était devant toi n’était pas une poupée tridim ?

Le capitaine enfila son pantalon, s’assit à côté d’elle et commença à engloutir les pâtisseries les unes après les autres. Comme celui-ci n’avait pas l’air de vouloir ouvrir la bouche pour répondre, elle continua :

— Les femmes ne sont pas des foutues objets sexuels dont l’on se sert comme on veut pour les jeter ensuite. Quand c’est non, c’est non. J’avais été claire en plus ! Mieux, quand ce n’est pas oui, c’est non. C’est pourtant facile ! Ça vous arrange bien, vous les hommes, de ne pas comprendre des choses aussi évidentes.

Kalozka s’attaqua aux fruits dont il retira un à un les pépins de la pulpe juteuse. Une veine palpitait sur son tympan.

— Mais franchement, je plains tes amantes. Vendre du rêve à ce point pour finir aussi mauvais.

Il haussa une épaule avant de boire cul-sec son kof.

— De toute façon, c’était une erreur dès le début, continua-t-elle devant l’air buté du capitaine. Je ne couche jamais avec les membres de mon équipage.

Azza finit sa tasse d’une main tremblante pendant que Kalozka fixait la fenêtre. Elle lui en voulait toujours et se sentait encore sale d’avoir été utilisée comme un simple réceptacle à foutre. Mais son monologue l’avait calmé plus que ce qu’elle ne l’aurait pensé. Elle comprenait mieux pourquoi Oneza parlait tout le temps.

— D’autres choses à ajouter ? demanda-t-il d’un air faussement absent.

— Pas pour le moment, Kalozka, mais ne me tente pas.

— T’inquiète, j’ai compris la leçon.

Elle lui lança un regard mauvais. Il leva les mains en signe d’expiation.

— Je ne recommencerai pas, Yuka, je tiens à mes parties génitales. Prête pour notre petite visite aux Archives ?

Azza ajusta sa robe pendant que Kalozka eut un intérêt soudain par les ornements de sa fourchette. Elle disciplina sa perruque avant d’accrocher la voilette et fit signe au capitaine qu’elle était prête.

— C’est bon, allons-y.

Kalozka et elle sortirent toutes deux. Elles furent accueillies par une légère brise. Le soleil brillait déjà dans un ciel sans nuage, mais la température, comme la météo, était probablement contrôlée pour que celle-ci reste agréable pour les humains. Par chance, Azza avait oublié son briquet dans le vaisseau. Un rictus s’imprima sur son visage.

L’homme à côté d’elle conservait une distance respectable, ce qu’il n’avait jamais trouvé nécessaire de faire par le passé, encore moins quand cela était dicté par les convenances sociales, comme si elle était une bombe à retardement prête à exploser à tout moment. Énervante sensation quand cela provenait de l’homme qui avait, sans prendre garde, décider d’en faire qu’à son bon plaisir, quitte à passer outre les envies des autres. Il pouvait bien lui faire la leçon, mais elle n’avait jamais outrepassé le plaisir de ses amantes, elle.

Azza chassa ses pensées au loin. Pas le moment. Plus urgent à traiter. Comme l’installation d’une pièce électronique d’espionnage sans être repérée. Elle avait une certaine appréhension à cette idée. Elle n’avait pas l’habitude d’agir en finesse et était plus habituée aux braquages avec un bon vieux maser dans chaque main que de démonter en finesse un pan de mur imprimant. Ce n’était pas que la discrétion ne fonctionnait pas. Ce n’était juste pas son truc. Mieux, ce n’était pas son rôle. Elle s’était placée à la lumière pour mieux bousculer les barrières et protéger dans son ombre les femmes qui avaient besoin de rester invisibles pour faire avancer les choses sans attirer les foudres des patriarcaux.

Cela avait marché un temps où certaines femmes, les plus privilégiées, obtinrent des dérogations au corset qui les étouffait. Un résultat bien faible pour beaucoup de mortes. La situation de ses sœurs avait empirée durant ses longues années d’emprisonnement. Sur toutes les planètes qu’elle avait visitées depuis son évasion, les voilettes étaient devenues la norme et les femmes étaient beaucoup plus absentes des rues. Azza espérait à chaque arrivée apercevoir une lueur d’amélioration et Juli lui avait donné quelques raisons d’y croire. Ce n’était pas dans cette ville qu’elle trouverait de l’espoir. Les chaussures des hommes qui la doublaient coûtaient au moins une semaine de repas dans l’espace.

Kalozka et Azza arrivèrent enfin à l’entrée des Archives. Celle-ci était à l’image de la tour aux rares fenêtres qui la surplombait : démesurée, avec son immense escalier bordé de colonnades dorées et de mauvais goût. Elles grimpèrent les marches une à une jusqu’au premier contrôle d’identité, qu’elles passèrent sans rencontrer de résistance de la part des capteurs biométriques.

Puis, elles entrèrent dans un hall marmoréen d’une grandeur gigantesque. Le plafond était d’une telle hauteur qu’il leur fallait lever la tête pour admirer l’énorme lustre en argent. Des bancs étaient alignés contre les murs. La pièce était silencieuse malgré le monde, un peu comme certains temples sacrés que lui avait fait visiter Mona. Une seule ouverture était visible au fond, de taille bizarrement standard et surplombée par un conséquent panneau holographique affichant des rangées de chiffres qui s’incrémentaient régulièrement.

Kalozka la tirait doucement par le bras, s’imaginant peut-être que la moindre caresse pouvait la briser. Elle lutta pour ne pas dégager ce contact sur son corps qui lui en rappelait en miroir d’autres. Il lui montra un distributeur de tickets caché sur le côté devant lequel quelques personnes patientaient. Une fois qu’elles récupérèrent un ticket, elles s’assirent sur un des bancs libres et attendirent que leur numéro s’affichât sur le panneau lumineux.

Azza observa, tête baissée, les autres visiteurs et visiteuses qui patientaient autour d’elles. Il s’agissait pour la plupart de très jeunes couples à la mise riche. Ce n’était guère étonnant. Le prix d’un voyage intersidéral n’était pas à la portée de toutes les bourses et seules les familles nanties s’appuyaient sur la puissance administrative d’un papier hors de prix pour valider les unions. Les pauvres ne pouvaient guère se payer le luxe de mettre une année de salaire dans un matériau plaqué de métaux rares. Heureusement qu’Oneza pourvoyait à leur besoin. Elle continua son observation. Tous les couples suivaient le même schéma : l’homme fanfaronnant tel un coq en pâte pendant que la femme roide conservait ses mains le long de ses jambes, d’une humilité fière et apeurée d’avoir été choisie par un homme aussi puissant.

Elle soupira. Elle ne pouvait rien faire, là, maintenant, pour les femmes présentes dans la grande salle. Elle devait d’abord se libérer de ses propres ombres avant de tendre la main de nouveau vers des sœurs.

Leur numéro s’afficha enfin en grand sur le panneau. Le capitaine et elle se levèrent en direction de la petite porte du fond.