Avant-propos : j’ai hésité longtemps avant de le publier, mais voilà, même s’il est loin d’être parfait, j’aime bien mon premier roman, un space opera assez classique. J’espère que vous pardonnerez les erreurs d’écrivaine débutante (que je suis encore) pour apprécier le roman. J’essayerai de publier un chapitre un mercredi sur deux. Bonne lecture.

Le capitaine Naël Kalozka tira nerveusement sur sa cigarette, l’attente et la tension gonflant dans ses veines. Il n’arrivait pas à détacher le regard du satellite derrière lequel était caché le vaisseau. Il était seul dans la cabine de pilotage, Issam avait préféré occuper les dernières heures de tranquillité en salle commune avec le reste de l’équipage. Naël regarda l’heure affichée sur l’écran de bord. Deux heures IG quarante-cinq. Il soupira, les minutes avant le passage à l’action étaient toujours les plus longues.

Les discussions qui avaient suivi sa présentation de l’évasion avaient été vives. Beaucoup de questions et d’amendements avaient été posés. Le plus dur avait été de lutter contre la crainte de représailles de la Fédération Unitaire Galactique. Peur irrationnelle, avait estimé Naël, pour des pirates qui survivaient en abordant des navires marchands et revendaient à bas prix leur cargaison. De toute façon, personne n’entrait dans la légende sans se mettre à dos quelques autorités. Le vote avait fini par être unanime, malgré le rechignement habituel de Saelys, le cuisinier du vaisseau.

Le plan avait été revu et décidé ensemble : à trois heures IG, l’équipage s’approcherait de la planète-prison XUR-52284 à la voile solaire. A quatre heures IG, l’ensemble de l’électricité de la prison serait coupé par un virus informatique installé par un hacker, ami du jeune maître-mécanicien Linor. L’équipage pourrait alors mettre en marche le moteur sans craindre d’être repéré par les radars électromagnétiques, se poser sur le sol gelé de la planète, récupérer la prisonnière et repartir aussi sec.

Il y avait peu de gardes dans cette prison, une centaine au total si les informations étaient bonnes. L’administration comptait sur le froid glacial qui balayait le sol pour empêcher toute velléité de fuite. Il s’agissait d’un avantage indéniable pour leur mission. Ça, la discrétion de leur navire et l’impensable folie d’une telle exfiltration.

Le chuintement de la porte le sortit de ses réflexions.

― Tu as l’air inquiet, capitaine.

Il reconnut la voix flegme d’Artur, son quartier-maître.

― Peut-on vraiment avoir confiance en cet hacker ? lui souffla-t-il. La réussite du plan repose entièrement sur lui, mais qui nous dit qu’il ne va pas disparaître et nous laisser seuls face aux canons de l’administration pénitentiaire ?

― Linor a toute confiance en Phoenix, répondit Artur. Il assure qu’elle lui a sauvé la peau plusieurs fois et que c’est une des meilleures dans le milieu.

Naël grimaça :

― Elle ?

Artur sourit de sa façon quasi imperceptible :

― Nous allons évader une des cheffes de la Rébellion des Femmes. Il paraît même que c’est une des plus féroces. Je ne pense pas qu’un « elle » en plus ou en moins changera grand-chose à notre présente situation.

Naël regarda de nouveau l’heure. Trois heures IG. Il décrocha l’interphone pour ordonner le départ. Quelques minutes après, Issam les rejoignit et se mit à pianoter sur ses consoles sans desserrer les mâchoires. Dommage, le babil du pilote aurait été le bienvenu. Les échos de pas dans les coursives témoignaient de la fébrilité qui avait pris les hommes de l’équipage.

La grande voile carrée fut hissée rapidement et la planète grise apparût enfin derrière son satellite. En cette journée de saison chaude, l’eau était encore gelée, mais les tempêtes de neige étaient moins présentes. Du moins, c’était ce que Naël avait retenu du speech d’Issam de la veille. Tant mieux, l’opération serait moins risquée. Le pilote avait continué sur un petit laïus historique de la planète. La prison avait été créée à la suite des révoltes socialistes réprimées dans le sang soixante-dix années plus tôt. Peu après, des mines de terres rares avaient été découvertes à chacun des pôles de l’astre. Très vite la Fédération avait réalisé un accord gagnant-gagnant avec une entreprise multi-planétaires de technologies : l’entreprise gérait la prison pour les cent prochaines années tout en profitant de l’extraction à bas coût par les prisonniers de ces éléments indispensables à la technologie spatiale et connectée. Après tout, ne disait-on pas que rien ne valait le travail et le grand air pour remettre dans les rails les rebuts de la société ? Naël plissa les yeux. Les blocs communautaires des prisons n’étaient pas encore visibles. Il savait que chaque partie hébergeait en son sein mille personnes organisées hiérarchiquement. Il s’agissait pour la plupart de peines de droit commun.

Mais ce qui intéressait l’équipage était à l’écart, plus au nord. Naël fouilla du regard la surface gelée de la planète à la recherche d’un petit bâtiment en forme d’étoile avec en son centre une tour de garde. Là était emprisonné un échantillon des pires chienlits de la société : politiques anti-esclavagistes ou pro-démocratie, indépendantistes, chefs de mutinerie, quelques prisonniers unionistes de guerre irrécupérables… et Azza « La Rouge » Yuredig. Capitaine de l’Antianeirai, elle avait été condamnée à la prison à vie pour avoir activement participé à la Rébellion des Femmes, qui s’opposait par les armes aux lois de retour à l’ordre promulguées par la Fédération Unitaire Galactique.

On disait que son surnom venait de son habitude à boire le sang des hommes qu’elle croisait, qu’elle obligeait les femmes à tuer leur mari, les filles à renier leur père et que l’équipage suivait un culte sanglant et sacrifiait de jeunes garçons vierges chaque semaine. Un ramassis d’histoires à terroriser les enfants ou les idiots. Et Naël ne se considérait ni comme un enfant ni comme un idiot.

L’écran de bord annonça quatre heures IG. Il ordonna l’allumage du moteur et confirma les coordonnées d’atterrissage à Issam. Ce dernier resterait à bord pour filer au plus vite une fois le colis récupéré, tout comme Linor qui interviendrait en cas de casse ainsi que Mizsel et le mousse qui se posteraient aux canons pour assurer les arrières de la troupe au sol. Le mousse était encore trop bleu pour aller sur le terrain et il serait entre de bonnes mains avec un des meilleurs tireurs que Naël ait pu rencontrer. Si les renseignements étaient corrects, ils ne devraient pas être plus d’une quinzaine en face, sans possibilité de renfort des autres bâtiments. Les communications coupées et la surprise devraient jouer à leur avantage.

Naël rejoignit sa cabine. Il enfila sa tenue isolante, ajusta ses lunettes protectrices, vérifia le chargement de son maser, et se positionna devant le sas du vaisseau où l’attendaient déjà une demi-douzaine de silhouettes blanches. Une bouffée de fierté l’emplit à la vue de ses hommes. Beaucoup étaient d’anciens militaires qui avaient survécu à la guerre comme lui. Quelques-uns étaient d’anciens salariés de vaisseaux marchands capturés qui les avaient librement rejoints. Tous avaient connu la brutalité des officiers, les payes qui n’arrivaient pas, la faim et la dure solitude de l’espace.

Le choc de l’atterrissage secoua le groupe. Il n’aura qu’une centaine de mètres à parcourir dans le froid. La porte s’ouvrit. Les battements de cœur de Naël s’accélérèrent et sa bouche devint pâteuse. Ses doigts se crispèrent autour de la crosse de son maser. Il souffla silencieusement. Il avait survécu à tellement de combats inutiles ; il survivrait bien à celui qui allait advenir.

Il s’élança. Le sol était recouvert d’une épaisse couche de neige gelée. La seule lumière provenait du satellite et accentuait toutes les aspérités du paysage. En face, se trouvait une tour tassée sur elle-même entourée de bras d’une centaine de mètres chacun. Il leva la tête. La tour était surplombée d’une coupole transparente et de petites fenêtres plastifiées s’alignaient de chaque côté des bras. Des jets de torches s’échappaient de temps en temps de la coupole. La chape de silence était brisée par le bruit d’un générateur électrique hors de son champ de vision.

L’air vif gifla les hommes et Naël remonta son cache-nez. Il fit signe au groupe de le suivre. Pliés en deux et armes à la main, ils longèrent le bras de bâtiment le plus proche, brisant la nuit du seul bruit de leur foulée. Ils trouvèrent une porte au pied de la tour. La silhouette encapuchonnée de Zakioru approcha un canon à plasma de celle-ci pour y créer une ouverture. Tous se figèrent quelques secondes. Aucune alarme ni aucun coup de feu ne les accueillirent. Naël s’engouffra dans le trou.

Une fois entré, le groupe se partagea en deux : une partie devait sécuriser les quartiers de repos et l’autre la salle de commande à l’étage. Naël grimpa une-à-une les marches grises et métalliques. Il se retrouva sur une plateforme circulaire au centre de laquelle se tenait une pièce cylindrique en béton. Il longea les murs arrondis. La plateforme surplombait de grosses portes en métal, probablement les entrées pour accéder aux ailes des cellules. Elles étaient trop épaisses pour les ouvrir à coup de plasma. Naël s’arrêta devant une porte entrebâillée qui laissait deviner une conversation houleuse. Il attendit que l’ensemble de son groupe le rejoignît et raffermit sa prise sur le manche de son maser. Il poussa la porte de sa main libre.

Sept… non, huit hommes entouraient un écran affichant un oiseau aux ailes enflammées composé de milliers de caractères. Un poil désuet, quand même. Deux des gardes tenaient une torche pour éclairer le clavier sur lequel tapait frénétiquement un troisième homme. Les quatre autres commentaient et se disputaient sur les remédiations possibles. Seuls cinq portaient l’uniforme marron réglementaire, deux des tenues de civils débraillées et celui s’escrimant sur le clavier était encore en pyjama. Naël se détendit et entra, suivi de ses hommes.

Il fit exploser une étagère d’un coup de maser.

Les gardes sursautèrent et se retournèrent pour regarder les intrus. Un garde en uniforme leva son arme. Il reçut un salve de micro-ondes et tomba au sol ; du sang coula des yeux et des narines.

― Quelqu’un d’autre souhaite jouer au héro ?

Les soldats levèrent les mains en l’air.

― Bien, nous allons pouvoir discuter. Au moindre geste suspect, on se fait plaisir les gars.

Naël prévint par radio son quartier-maître du succès de cette étape, laissant ses hommes déshabiller et attacher les gardes avec des menottes autoserrantes. Quelques coups partirent, il laissa faire. Lui non-plus ne portait pas l’uniforme dans son cœur.

Apprenant que le second groupe avait la maîtrise de la salle de repos, il se tourna vers les prisonniers et demanda qui était le responsable de l’ouverture des portes des cellules.

Les gardes poussèrent un homme grisonnant devant eux.

― Je veux que tu m’ouvres la cellule d’Azza Yuredig. Si cela n’est pas dans tes cordes, j’espère que tu aimes l’air frais, dit-il de son plus beau sourire en secouant son poignard en direction de la coupole.

Il savait que cela faisait toujours effet.

― Je, je, je ne peux pas l’ouvrir, bégaya le garde. L’électricité est coupée… L’informatique est en panne…

― Eh bien, tu vas nous indiquer la porte de la cellule et nous l’ouvrirons à coup de plasma, s’il le faut.

― Les portes sont blindées, le plasma ne pourra rien faire…

Naël tira sur l’homme, qui s’effondra mollement au sol, avant de se tourner vers le reste des prisonniers :

― Trouvez-moi une solution, ma patience a des limites.

Les prisonniers se regardèrent, transpirant de peur.

― Il existe des clefs qui nous permettent d’accéder aux cellules sans laisser de traces dans le système informatique, souffla d’une traite un jeune garde.

― Continue, petit.

Le jeune se rengorgea.

― Elle nous permet d’aller faire un petit tour dans les cellules quand on s’ennuie, fin vous savez quoi, crana-t-il.

Sous le regard dur de Naël, il s’empressa de continuer :

― Elles sont rangées, à gauche de l’entrée.

Il se déplaça devant une étagère en métal gris, ses deux mains attachées devant lui et attrapa une clef triangulaire dans un tiroir.

― Je peux vous montrer la voie si vous voulez, mais c’est une démone. Elle a failli tuer un garde une fois…

Naël fit signe au garde de passer devant lui. Il le suivit en sentant la présence rassurante de Zakioru, Mazziek et Saelys sur ses pas. De nouveau au rez-de-chaussée, il croisa Artur qui attendait devant l’entrée. Son second reconfirma d’un hochement de tête que tout était sous contrôle à ce niveau.

Le garde ouvrit une épaisse porte métallique. Elle donnait sur un couloir d’une centaine de mètres bordé de chaque côté d’une dizaine de portes aussi imposantes que la première.

Des fumerolles de condensations s’élevaient à chaque respiration. L’air était encore plus froid dans le couloir. Le garde avança jusqu’à la huitième porte. Il prit la clef, hésita quelques secondes la main figée en l’air, et inséra la clef sous une sorte d’interphone jauni par le temps. La porte se déverrouilla d’un bruit de ventouse.

Naël dégagea le garde et ouvrit la porte. Il eut à peine le temps d’être surpris par la puanteur de la pièce et la moisissure des murs, qu’il sentit une pointe de plastique froid contre sa gorge.

***

Quand le luminaire s’éteignit, Azza comprit que l’occasion qu’elle espérait tant était enfin là. Elle ferma les yeux quelques secondes pour s’habituer à la faible lumière de la lune que laissait passer le hublot grillagé. Des cris brisèrent le silence de mort. Quand elle rouvrit les yeux, elle pouvait deviner le lit contre le mur, le lavabo qui gouttait et les latrines débordantes à l’opposé. La cellule était plus grande que sa cabine de l’Antianeirai, mais elle n’avait jamais autant souffert de l’enfermement qu’ici.

Elle se dirigea vers sa couche, dégagea le matelas plein de vermines avant de soulever le sommier. Elle déboîta fébrilement un des pieds du lit. Une des extrémités formait une pointe rustique qu’elle avait taillée contre le mur des jours durant. Son arme de fortune à la main, Azza se posta à côté de la porte de la cellule, la peur se mêlant à l’excitation.

Le froid humide envahissait de plus en plus la cellule, engourdissant ses doigts. Azza raffermit sa prise autour de la pique. Les gardes prenaient leur temps cette fois-ci. Ils avaient dû apprendre la prudence depuis leur dernière rencontre durant laquelle, malgré leur nombre, elle avait réussi à leur arracher quelques trophées de chair. Depuis, les surveillants s’étaient vengés en n’apportant plus de nourriture à heure fixe, quand ils en apportaient, la renvoyant dans des limbes temporelles où le temps n’avait plus de consistance.

Peut-être qu’elle arriverait à tuer un des hommes et à fuir cette cellule avant qu’ils ne l’aient rabaissé à un morceau de viande. Elle pourrait voler un vaisseau pour quitter ce satellite infernal, puis elle retrouverait la femme qui l’avait trahie. C’était une idée folle qui n’avait aucune chance de réussite. Elle ne connaissait pas l’architecture des bâtiments, et même si les gardes semblaient peu nombreux, elle serait tuée avant de trouver une carte. Quand bien même, par une chance inouïe, elle réussissait à s’enfuir, il lui faudrait traverser toute la galaxie et retrouver des soutiens qui l’aideraient dans sa vengeance. Mais tout plutôt que de crever entre ces quatre murs moisis et de servir d’exutoire à des gardes en manque de nouveautés. Au pire, elle rejoindrait Aurore dans le néant et mourir en luttant pour une once de liberté serait une belle façon de clore son histoire.

Quand elle entendit la porte s’ouvrir, elle était prête. Une silhouette blanche entra. Elle bondit et planta la pointe contre la gorge du nouvel arrivant, plutôt bel homme au demeurant, avec sa peau olive, ses bouclettes noires plaquées sur le front par la sueur et ses yeux verts dilatés par la surprise derrière son masque. Le genre qu’elle aurait bien croqué dans une autre vie. Elle compta trois autres hommes en blanc armés et un bébé garde en sous-vêtements. Apparemment, aucun ne s’était attendu à ce qu’elle tînt debout et encore moins qu’elle les attaqua. Elle sourit. Sa fuite s’annonçait plus facile que prévu.

Azza poussa l’homme devant lui du bout de sa pique. Du sang perla du cou. Elle lui arracha le maser des mains. Elle avança dans le couloir, caché derrière l’homme qui gardait sagement les mains en l’air. Il donna l’ordre de ne pas bouger. Elle vit du coin du regard les autres silhouettes en blanc hésiter. Des encouragements et des insultes étaient lancées par les autres prisonnières. Elle rasa le couloir, accrochée à son arme comme à une balise de secours et toujours avec l’homme bouclier devant elle.

― On est de ton coté, on veut te faire quitter la planète, tenta l’homme d’un accent chantant.

Unioniste ? Peu lui importait en fait. L’Empire Unioniste et la Fédération Unitaire Galactique n’étaient que bonnes à guerroyer en prenant en otage les femmes du bord adverse. Qu’ils crèvent tous.

― La ferme, répondit-elle d’une voix éraillée en le frappant sur la tempe.

Après un temps qui lui semblait une éternité, elle atteignit enfin la porte du couloir. Elle ordonna à l’homme de l’ouvrir et pénétra dans une salle ronde surplombée d’une plateforme. Moins d’une dizaine d’hommes y était stationnée. Ils la tenaient dans leur ligne de mire.

Azza colla le maser contre la tête de son prisonnier. Elle lui souffla de donner l’ordre à ses hommes de ne pas tirer. Elle sentit le corps du chef se crisper, mais il obtempéra.

Elle se rapprocha de l’ouverture qui donnait sur l’extérieur. L’air gelé et pur lui glissa sur la peau. Elle balança son prisonnier devant elle, tira au hasard en direction des silhouettes blanches et se précipita dans la nuit étoilée.

***

Elle courut. Le froid lui brûlait les pieds, les mains, le visage, les poumons.

Elle courut. Elle n’entendit que sa respiration et ses foulées sur la neige.

Elle courut. Tant qu’elle put, le plus loin possible.

Elle courut. Elle était vivante.

Elle courut. Elle ne sentit plus ses pieds, ni ses mains, ni son visage.

Elle courut. Ses poumons la brûlaient.

Elle tomba sur ses genoux. Elle regarda la lune. Elle était libre, loin de murs, loin des hommes.

Elle se laissa tomber sur la neige. Elle pensa à Aurore, qu’elle allait finalement rejoindre, et ferma les yeux en souriant.