Avant-propos : cet article effleure le sujet de crises suicidaires. Si Si vous êtes en détresse et/ou avez des pensées suicidaire, vous pouvez contacter le numéro de prévention du suicide, accessible 7j/7 : 3114. Vous n’êtes pas seul·e.

Il y a plusieurs semaines, j’ai hébergé des proches pour une nuit, un couple et leur enfant. Nous avons commandé des pizzas et je leur demande si leur voyage s’est bien passé. C’est comme la météo, thème banal, sans risque, facile à gérer pour commencer une soirée.

Sauf que ma proche sort du script – ou peut-être ça en fait partie mais on ne m’a jamais expliqué – et me décrit qu’iels étaient tombés sur le fou du bus et que, malchance, ça lui arrivait tout le temps.

J’ai figé, la part de pizza à cinq centimètres de ma bouche.

Ne savait-elle pas que j’étais moi-même folle ? Je la regarde. Non, cela ne lui venait même pas à l’esprit. Pourtant, au mien, reviennent toutes les crises de ces dernières semaines.

Je balbutie quelque chose au sujet de la non-dangerosité des personnes qui parlent dans le bus et nous passons au dessert – compote aux coings – très de saison.

Elle ne se souvenait pas alors.

De mon voyage aux urgences psychiatriques, d’où j’ai fui au plus vite.

De mes arrêts de travail, cinq mois au total en une année.

De mon envie de mourir assez forte pour que j’effleure la mort du bout de mes doigts.

De la fois où je me suis shootée d’anxiolytiques pour ne pas écraser ma tête contre le mur. Pourtant, cette fois-là, j’étais devant elle.

Mais je n’étais pas la folle du bus. Je suis de sa famille et j’ai l’air tout à fait bien, n’est-ce-pas ?

Tout à fait maîtresse de moi-même. Pas du tout du genre à fredonner dans le tram Una mattina Mi sono alzata, O bella ciao, Bella ciao, Bella ciao ciao ciao…

Que voulez-vous, je m’étais fait arrachée les dents et je suis sensible aux anti-douleurs.

Je ne sais pas trop comment, ce jour-là, j’ai réussi à rentrer dans mon appartement et les effets secondaires m’ont scotchée nauséeuse sur le canapé. A priori, l’envie de vomir chasse toute envie de chanter des airs révolutionnaires.

Voilà la vérité : j’étais la folle du bus mais elle ne le savait pas.

Mais je suis blanche et je suis ingénieure, donc je ne suis pas folle, ou pas comme les autres, tu sais.

Pas comme celleux qui se retrouvent de force dans un hôpital psychiatrie sans moyen pour en sortir.

Ni comme celleux qui prient allah abkar un peu fort dans le train, se font embarquées par la police et ne ressortent jamais du commissariat. Sauf les pieds devant.

Non, je suis blanche et je suis ingénieure et je suis arrivée à travailler comme un bon pion du capitalisme plus de quatre mois de suite, la première fois en deux ans. Bravo. Donc je ne suis pas folle, un peu malade peut-être, avec des troubles mais ne le disons pas trop forts, une santé mentale un peu fragile, voilà, mais tout va bien, non ? Je travaille donc n’en parlons pas, qui re-veut de la compote ?

Ce jour là, j’ai été blessée comme nous pouvons l’être par des proches qui ne nous voient pas comme nous sommes.

Pour être honnête, ma proche ne veut pas voir mais mon voisinage le sait que je suis folle.

Les murs ne suffisent pas à cacher les cris, la douleur et les chants révolutionnaires.