Avant-propos : Cet article discute d’une chaîne twitch/youtube peu connue hors des cercles militants islamo-extrémo-gauchos. D’un premier abord, on pourrait se questionner sur l’intérêt de perdre son temps sur une telle chaîne mais son arrimage à LFI et la présence croissante de Bouteldja au sein des mouvements de lutte, comme les soulèvements de la Terre, me font penser qu’il est important d’en parler.

Qu’est-ce que Paroles d’Honneur ?

Paroles d’Honneur est un média né en 2017, suite aux élections présidentielles, ayant pour objectif d’apporter « pour un regard neuf sur l’actualité en faisant entendre la voix des quartiers et de l’immigration post-coloniale ». Il se compose d’une chaîne twich, émission radio et podcast, chaîne Youtube basée sur celle de twich mais aussi d’un journal papier (« Nous »).

Le format est celui du talkshow où plusieurs personnes discutent devant caméra pendant une heure à deux heures, voire beaucoup plus, et la plupart des vidéos porte sur le génocide en cours en Palestine.

Concernant les animateurices , plusieurs sont des anciennes membres du PIR (Boussoumah – grand soutien du régime iranien, Bouteldja, Yousfi) et la chaîne s’inscrit clairement dans la même continuité. D’autres se définissent comme d’anciens Solariens.

Vu le nombre de vidéos, j’ai été obligée de faire un choix, complètement partiel. Néanmoins, j’ai pu constaté une grille d’analyse semblable traversant les vidéos que j’ai visionné.

Aparté : Certains propos me semblent reprendre des mécanismes antisémitismes ou, au moins, montrant une perméabilité avec, notamment via l’obsession sur les juifves. Cependant, je ne suis loin d’être à l’aise sur ce sujet pour arriver à en faire une critique juste. De même concernant l’anticolonialisme à plusieurs vitesses, visible par l’invitation d’un défenseur colonial marocain qui a été annulée. Je laisse ces sujets à plus expert·es que moi.

La théorie bouteldjiste en colonne vertébrale

La prochaine chose que l’on remarque en se baladant sur la chaîne PDH est l’omniprésence de Bouteldja : que ce soit la personne en elle-même, en vraie guest star, comme lors de l’événement avec (entre autres) Judith Bulter, ou bien ses idées et notamment la stratégie d’alliance entre « barbares » et « beaufs ». Ainsi, il est pour moi impossible de dissocier la chaîne PDH de la personne de Bouteldja. C’est une des raisons pour laquelle je me suis penchée en particulier sur les vidéos où elle présente son livre et donc où elle met en avant les aspects importants pour elle de sa stratégie.

De leur point de vue, les personnes racisées (« barbares » ou « Indigènes »), vu comme un groupe homogène, sont en priorité victime de l’État Nation racial et impérialiste.

L’objectif de cette stratégie est ainsi de mettre bas l’État Nation racial et impérialiste, qui est source d’exploitation et domination en tant que tel. Comme les personnes racisées ne peuvent pas, seules, renverser l’État Nation, il s’agit de s’allier un autre groupe laissé pour compte : les prolétaires blancs (au masculin). Cette stratégie, grille de lecture de PDH, est donc une alliance entre deux catégories de la population : les blancs prolétaires et les hommes racisés pour mettre bas à l’État Nation. Il s’agit, et c’est assumé, de reprendre l’alliance proposé par Soral, qui aurait eu raison de vouloir faire cette alliance, mais qui s’était planté de cible avec son antisémitisme.

Comment donc réaliser cette alliance entre ces deux catégories ?

Détourner la réaction

Tout d’abord, les personnes racisées, en particulier arabes, sont considérés comme de plus en plus réactionnaires par Bouteldja, et ce à cause des violences étatiques et de la trahison des gauches progressistes. Cependant, cette réaction porterait les germe de luttes révolutionnaires contre l’État Nation. Par exemple, le « nouvel antisémitisme » serait une critique contre l’impérialisme et l’État Nation. Parmi les personnes racisées réactionnaires, les hommes auraient leur virilité étouffée et n’auraient plus que celle-ci comme résistance à l’État, en sous-entendu : ce serait pour cette raison qu’ils seraient sexitses. Il faudrait donc en sortir la part lumineuse pour la diriger contre l’État Nation.

Plusieurs points ici que me questionner sans avoir les connaissances suffisantes pour y répondre. D’abord, est-on certaine que les personnes racisées soient de plus en plus réactionnaires ? Si oui, ne faudrait-il pas l’inscrire dans une tendance de fond vers l’extrême-droitisation de la société ? De plus, qu’est-ce que cela signifie concrètement « sortir la part lumineuse de la virilité » ? Est-ce seulement possible ? Et enfin, peut-on réellement parler de « nouvel antisémitisme » ?

Le déracinement des blancs

On a vu que la stratégie était de créer une alliance hommes racisés et prolétaires blancs. En soi, il est étrange de sortir les hommes racisés du prolétariat mais conforme à la considération dans les vidéos que la lutte des classes est un truc de blancs. En effet, pour Bouteldja, les luttes pour les salaires, pour la retraite, etc. seraient des luttes de blanc·hes.

Alors, comme ramener les prolétaires blancs à la lutte contre l’Etat Nation ?

Là, l’hypothèse de départ est que les blancs auraient un manque identitaire et spirituel, explicité comme chrétienne dans une vidéo, dû à leur déracinement de leurs villages à cause, selon les interviews, de la modernité et/ou l’État Nation ou encore de l’Union Européenne (UE). C’est ce qui expliquerait pourquoi les hommes blancs prolétaires rejoindraient l’extrême droite : seule cette dernière proposerait un projet face à ce déracinement.

Oui, les termes de « racine » et de « culture chrétienne » sont bien utilisés ensemble, ce qui ressemble fichtrement aux propos de l’extrême droite. Il s’agirait donc de reprendre les termes de l’extrême droite pour détourner les hommes blancs vers la lutte contre l’État Nation. C’est bien connu, le meilleur moyen de lutter contre l’extrême droite est de faire comme l’extrême droite (non).

L’analyse ici est questionnable. Le vote à l’extrême droite a plusieurs explications qui ne se réduit pas au manque de racines. Par exemple, il y a le vote sanction, la façade économique anti-libérale de l’extrême droite ou encore par racisme, ou encore d’autres raisons et probablement un mélange de tout ça.

Bref.

Donc, pour plaire aux blancs prolétaires et vu que les hommes racisés s’en fichent de l’UE, la première étape est de sortir de l’UE pour retourner aux frontières de l’État Nation. Reprendre le pouvoir à ce niveau permettrait alors de mettre bas l’État Nation. C’est connu, les gens qui obtiennent le pouvoir le lâchent d’elleux-même (non).

Je ne souhaite en aucune cas défendre l’UE ou l’État Nation. L’UE – et les états qui la composent – est responsable de dizaine de milliers de mort·es à cause de ses frontières barbelés, soit via Frontex soit via l’externalisation de la gestion de réfugié·es. A part, une vidéo sur les réfugié·es (très bien par ailleurs), PDH n’aborde leur sort qu’à la marge et quasiment jamais lors d’une présentation de leur stratégie d’alliance. Il s’agit d’un angle mort flagrant.

Et que vive le patriarcat

J’ai bien pris la peine d’écrire à chaque fois au masculin. Il s’agit bien de se baser sur deux « masculinités subalternes » (a priori cis et hétéro), subissant le « féminisme hégémoniste » pour construire une alliance révolutionnaire et les femmes sont explicitement exclues de la stratégie. De fait, les réflexions partent d’un point de vue particulier : celui des hommes.

Bouteldja, reprise par PDH, considère les femmes au-dessus des hommes racisés dans la « hiérarchie »  des opprimé·es car la violence étatique (« verticale ») serait plus importante que les violences internes au groupe (dite « horizontales »). Pour appuyer son propos, Bouteldja citera, pour appuyer son propos, le grand défenseur libertaire Soral (ironie).

Aparté : Donc, là, concrètement, on nous dit qu’un meurtre patriarcal (« violence horizontale ») est moins important qu’un meurtre policier (« violence verticale »). Qu’un viol au sein de la famille (« violence horizontale ») est moins grave qu’un viol commis par un policier (« violence verticale »). Voilà, juste ça devrait nous pousser à cancel cette chaîne.

Encore plus que les femmes, les minorités de genre seront les grandes absentes, à part quand Bouteldja explique que les luttes LGBTI, tout comme la lutte des classes, sont des luttes de blanc·hes. Pourtant, les luttes féministes, LGBTI et queer antiracistes et décoloniales existent mais celles-ci sont passées sous silence.

Les rapports de pouvoir au sein du groupe des personnes racisées sont ainsi mis sous le tapis et, comme on le voit pour le prolétariat et la catégorie « femme », le groupe des personnes racisées est homogénéisées et s’aligne sur un groupe social en particulier, les hommes.

Donc, on parle d’ici d’une alliance entre deux catégories de la population : les hommes pauvres, en manque de racines chrétiennes, et les hommes racisés qui seraient réactionnaires. Une alliance au forceps, basée sur la masculinité et qui laisse beaucoup de monde sur le trottoir : les femmes et minorités de genre ainsi que les réfugié·es, trois catégories faisant pourtant partie de la classe prolétaire autant que les hommes, et qui elleux ont aussi des raisons de lutter contre le capitalisme et l’État.

On voit ainsi une mise en concurrence entre les différents systèmes de domination plutôt qu’une réelle volonté d’union pour tendre vers une société anticapitaliste, antiraciste et anti-patriarcale.

Une lutte basée uniquement sur la virilité de certains groupes masculins ne pourra porter qu’une société patriarcale, basée sur la virilité, et exploitant et opprimant les femmes et les minorités de genre.

Une société enviable que pour les hommes.

Le déni des violences patriarcales

Pour finir, j’aimerai parler du traitement des violences contre les femmes qui est la raison de départ de cet article.

Comme la présence de l’antisémitisme est niée, les violences patriarcales le sont aussi, sans réaction de la modération. Cela n’est en soi pas étonnant, vu que l’alliance stratégique se base sur les hommes, qui sont à majorité les auteurs de violences contre les femmes, les minorités de genre et les enfants. Petit rappel au passage, *toutes* les classes sociales sont touché·es par les violences sexuelles. Le viol est un moyen d’écraser une personne, de la déshumaniser, et est utilisé comme arme de guerre dans les conflits, comme en Palestine.

Judith Butler peut ainsi remettre en cause la réalité des viols commis lors de l’attaque du 7 octobre 2023 (ce qui est raccord avec les positions prises par Bouteldja et Boussoumah dans une tribune [Ref. 1]. Dans une vidéo, une intervenante compare les affaires Bouaf et Ramadan à un feu de pailles, là encore sans réaction. Pourtant, à la date de la vidéo en question, Tariq Ramadan est accusé de plusieurs viols et de harcèlements sexuels.

Lors d’une des vidéos sur le féminisme, deux intervenantes, Bouteldja et Waz, présentatrice par ailleurs de PDH, remettent en question les sanctions prises contre les hommes violents et autres agresseurs au sein de LFI car le parti primerait sur tout le reste. Waz, par ailleurs, utilise un argumentaire dit de « pente savonneuse » en comparant, même si elle s’en défend, une femme à un chien (de façon négative).

Je parle de ces réactions qu’il y a eu sur comment on va traiter ce cas là [celle de Quatennens] mais sans accepter même qu’il y ait une parole à gauche qui élargisse le truc, tout simplement, et comme on fait à gauche quoi, tout simplement, en disant que c’est pas que le cas Quatennens, parce qu’effectivement, comme le disait Houria, la violence dans les groupes, c’est partout.

Alors, là, on est sur les violences sexistes et sexuelles pourquoi pas demain les animaux pourquoi pas demain les animaux. Pourquoi pas demain on va virer un député parce qu’il a maltraité son chien ? Voilà. Je ne compare pas une femme à un chien. […] C’est un petit peu mon inquiétude c’est-à-dire que finalité si on parle de moralité on va aller jusqu’où. Les femmes, bon ok. Les chiens ensuite, finalement il est pas vegan… (Vidéo « Féminisme et antiracisme », à partir de 1h26)

La maltraitance contre des animaux domestiques est heureusement interdite, en espérant que celle à l’encontre de tous les animaux non humains le soit aussi. Sans parler de loi, un homme frappant son chien devrait nous alerter. Cela signifie qu’il prend plaisir à la souffrance d’êtres vivants. De plus, comme les féministes l’ont relevé, frapper les animaux est une méthode utilisée par les hommes violents pour diffuser la peur au sein du foyer. Donc oui, on devrait se méfier d’un tel homme.

Au passage, on remarquera que l’exclusion du député LFI Hugo Prevost, accusé de violences sexuelles, n’a pas fait beaucoup de vagues de façon générale. Peut-être parce qu’il n’était pas proche de Mélenchon ?

Ces différents exemples sont pour moi une preuve, ici et maintenant, de la dangerosité d’une alliance viriliste.

Conclusion

Les positions défendues au sein du média de PDH sont réactionnaires et patriarcales et n’auront pour résultat qu’une société réactionnaire et patriarcale, oppressive par construction. Une contre-révolution.

Si on souhaite une société où aucune vie ne serait écrasée, et pas moins, il faut combattre en même temps tous les systèmes de domination, qui s’entremêlent et se renforcent les uns avec les autres, et créer une réelle solidarité politique.

Références et vidéos visionnées

[Ref 1] Tribune : Lettre ouverte aux sionistes (de gauche) qui convergent à Mediapart

Les vidéos visionnées en entier :

  • Vidéo « Vers la Corbynisation des leaders de la FI ? » 
  • Vidéo « Rencontre littéraire à Lausanne autour de « Beaufs & Barbares » d’Houria Bouteldja »
  • Vidéo « Houria Bouteldja – présentation du livre Beaufs et Barbares à la librairie l’Atelier »
  • Vidéo « Feminisme et antiracisme »
  • Vidéo « La Perm’ : Féminisme & Palestine : avec NousToutes et Relève Féministe »
  • Vidéo «  Bassem est-il notre frère ? »
  • Vidéo « De quelle couleur sont les beaufs ? »
  • Vidéo « JUDITH BUTLER – CONTRE L’ANTISÉMITISME ET POUR LA PAIX RÉVOLUTIONNAIRE EN PALESTINE »
  • « IRAN vs ISRAËL, ISLAMOPHOBIE CHEZ GEOX, MARCHE DU 21 AVRIL
  • Migrants et frontières : Emission spéciale (Mariam, Youssef, Ali El Baz, Anna Sibley,Henri Braun…)
  • Houria Bouteldja à propos de «l’antisémitisme résiduel» de Mélenchon sur Hors-Série
  • Houria Bouteldja – Pour la paix révolutionaire
  • Les Beaufs et les Barbares : sortir du dilemme – Houria Bouteldja, il faut organiser le camp décolonial

Merci à R. pour la relecture.